Petit lexique de la sexualité en Haïti
De l’époque primitive aux temps modernes, parler de la sexualité a toujours été un sujet à la fois passionnant et controversé. D’une culture à l’autre, si les termes traduisant les rapports sexuels renvoient souvent à des expressions cocasses, parfois, ils frôlent aussi un certain sexisme pour le moins avilissant.
En Haïti, suivant la région ou le milieu social, la nomenclature de la sexualité varie d’une tranche d’âge à l’autre. Cependant, malgré la diversité langagière, on retiendra que la population fait souvent preuve de créativité, quand il s’agit de qualifier l’acte sexuel, dépendamment de la gratification ou de la satisfaction obtenue.
En effet, l’élasticité du créole aidant, désormais, le champ lexical de la sexualité est d’une densité remarquable. Ainsi, madame, monsieur, entre humour et prosaïsme, bienvenue dans la littérature sexuelle haïtienne.
« Bonjou pwèl ». L’éjaculation précoce est un trouble sexuel qui affecte beaucoup de jeunes. D’ailleurs, c’est un facteur important dans la rupture de certains couples, en manque de satisfaction sexuelle. En Haïti, quand un mec n’est pas capable de se prouver sur un lit dans un temps record, il se fait considérer comme inutile. Ainsi, les amateurs des brèves performances sont familièrement appelés « Bonjou pwèl » (bonjour les poils). Humiliation complète.
Connaître. Du français au créole, la signification de « connaître » ne change pas ; (Se faire une idée de). Cependant, dans la créativité linguistique du créole, « connaître » se réfère à plein d’autres choses. Par exemple, dans le langage vulgaire, quand vous entendez un mec dire : « Mwen konnen fanm sa » (je connais cette femme), la signification peut être aussi « avoir coïté avec cette femme ». C’est dit alors.
« Dechalbore ». Créole haïtien. Selon le site www.dictionnaire-creole.com, le verbe « dechalbore » marque l’action de : (1) mettre en lambeaux ; (2) dépuceler une vierge. En effet, cette expression revient le plus souvent dans la littérature sexuelle haïtienne pour justifier un rapport sexuel qualifié de sadisme et de mépris. En ce sens, une prostituée peut s’exprimer ainsi à un client : « Je ne vais pas vous laisser me « dechalbore » pour votre argent.
« Ke ». Pour certains, les rapports sexuels épanouis, sont ceux qui se terminent sur une note de satisfaction mutuelle des deux partenaires. Ainsi, cela suppose bien évidemment éjaculation, orgasme entre autres. En effet, pour parler d’éjaculation, les plus jeunes se réfèrent au terme « ke » (queue). J’ai beau chercher à comprendre pourquoi l’utilisation d’une telle expression. Mais ce que je sais, si on a éjaculé deux fois au cours d’un rapport sexuel, on a fait deux « ke ».
« Plastik ». Conscience collective oblige. Vu la propagation des IST, notamment l’épidémie du VIH/SIDA, le jeune Haïtien qui se respecte ne va pas au combat sexuel sans son arme ; le préservatif. Toutefois, loin des noms, génériquement ou commercialement utilisés pour parler du produit, ici les amateurs du néologisme parlent de « plastik » (plastique) en référence du condom.
« Pwa ». Face aux inquiétudes créées par l’éjaculation précoce, les victimes passent à l’offensive. Même si bien souvent, ce n’est pas toujours dans la meilleure des façons. Voilà, pour s’assurer d’une longue performance sexuelle, l’Haïtien de ma génération s’appuie sur son fameux « pwa », produit très populaire, servant à retarder longuement l’éjaculation de l’homme. Aux grands maux, aux grands remèdes, dit-on.
Signer. En droit, « signer » se traduit par le fait d’avaliser, endosser un acte en y apposant une signature. Cela suppose donc un lieu, un support quelconque. En Haïti, dans le parler courant, le sexe du garçon est aussi appelé crayon ou stylo, et celui de la fille « fiche ». Dans son tube « Fich bòlèt », le groupe Zenglen en a donné les détails. « Avoir déjà signé sur la fiche d’une fille », signifie donc avoir déjà eu des rapports sexuels avec elle.
Tailler. Par simple définition, le verbe « tailler » a la même valeur sémantique en français qu’en créole ; (couper, diviser, décapiter…) Sauf que, pour certains besoins communicationnels, l’expression prend aussi d’autres connotations en Haïti. Par exemple, dans le milieu juvénile, l’expression « taye » revient souvent dans les conversations pour se référer à un rapport sexuel. « Mwen gentan taye fanm sa » (j’ai déjà couché avec cette femme).
« Tibèf ». Qu’il soit fellation ou cunnilingus, en Haïti, tout acte sexuel oral se qualifie de « tibèf » (veau). Comme vous êtes un lecteur intelligent, trouvez-vous-même la raison de l’allusion au mammifère.
Traverser. Autant que je le sache, cette expression n’est pas trop ancienne dans la littérature sexuelle haïtienne. Cependant, aujourd’hui « Travèse ou janbe » est tellement populaire pour parler d’un acte sexuel, que cela devient un slogan dans le milieu juvénile. « Fanm sa, mwen gentan janbe li plizyè fwa » (cette femme, je l’ai déjà traversée à plusieurs reprises), dit-on souvent dans la rue pour parler d’un rapport sexuel d’un air dégradant.
« Viergina ». Malgré la désacralisation du mythe de la virginité, certains milieux tentent encore de conserver cet « honneur féminin » qui disparaît sous la pression de la modernité. Ainsi, pour se moquer de toutes filles qui, à un certain âge, n’ont pas encore de rapports sexuels, on les appelle joliment « Viergina ».
Par ailleurs, si vous connaissez certaines expressions non listées dans ce billet, vous pouvez les mentionner dans un commentaire. Si vous êtes dans une autre région du monde, faites-vous plaisir de partager avec nous les vocabulaires typiques, parlant des rapports sexuels dans vos pays. Prêtez-vous au jeu.
Osman Jérôme
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