À l’école du « Rap kreyòl »
Dans un précédent billet publié ici, j’avais promis aux lecteurs une réflexion sur le rap en Haïti. Une tendance musicale dont la popularité est désormais un dossier classé. D’ailleurs c’est l’opium de la jeunesse.
Comme une promesse est faite pour être respectée, ce nouveau titre sert donc de prétexte pour vous emmener avec moi dans l’univers du rap haïtien, familièrement appelé « Rap kreyòl ».
Le rap n’est pas nouveau dans le paysage musical local. Après des débuts plutôt timides, il prend depuis quelque temps une proportion grandissante. Comme une semence tombée dans de bonnes terres, la liste des groupes et artistes ne cesse d’être s’allongée.
Entre-temps, si certains noms sont commercialement bien travaillés, d’autres inspirent en outre des inquiétudes. N’attendez-pas que je vous en cite quelques-uns. Please.
Entre les appartenances aux couleurs des foulards, des clashs déplorables, des textes revendicatifs, des chansons obscènes, des graffitis, la culture du hip-hop et tout ce qui vient avec, s’imposent au pays du Compas Direct.
Aujourd’hui, citez-moi une ville en Haïti, un quartier à Port-au-Prince n’ayant pas son propre clan ? Les jeunes de ma génération font de ce mouvement une philosophie, une religion, une passion. Donc, une acceptation inconditionnelle.
Les refrains, les slogans, les chansons de Barikad Crew, de Rock Fam, de Zatrap, de Mystik 703, de Magik Clik, de Blaze One sont presque sur toutes les lèvres. En termes de consommation musicale, nous sommes à l’ère de la « Génération Rap kreyòl », estiment certains observateurs.
À ma connaissance, je n’ai jamais vu une jeunesse haïtienne s’accrocher à une cause avec tant d’opiniâtreté, d’affectivité et d’agressivité. Ainsi, entre les jeunes et le rap, c’est une belle alliance. Les sons et les lyrics servent de plus en plus à serrer ce lien de fidélité.
Entre déviance et conscience
Désormais, au-delà du genre musical, le hip-hop kreyòl c’est beaucoup plus que ça. C’est une révolution sociale. Une mutation avec tout ce que cela entraine comme avantages et inconvénients.
En effet, on a souvent assimilé le rap à un style de vie qui enfreint certaines valeurs. Jargons, accoutrements, coiffures, conduites…dans la plupart du temps, les adhérents ont une manière de faire qui laisse des commentaires négatifs.
En dépit que la société haïtienne soit très ouverte à certaines cultures importées, les rappeurs et les adeptes du rap ne sont pas toujours bien vus. Ils sont souvent taxés de délinquants. On leur reproche d’induire les jeunes à une supposée dégénérescence sociale.
En effet, sans aucune idée paradoxale, on doit tout de même reconnaître que l’articulation pratique de cette conception est en partie stéréotypée. Car le rap, surtout dans le cas d’Haïti ne s’arrête pas là. Au tant que des médiocres, l’école du rap haïtien a aussi produit de bons élèves.
Disons, actuellement, la problématique serait le nombre de voix qui se réclame de rappeurs. Car dans la plupart des cas, il suffit de pouvoir se payer un beat et un studio d’enregistrement, n’importe évadé de prison, n’importe ignare se dit MC. Dans cette course aux frics et à la popularité, difficile de séparer l’ivraie du bon grain. Et c’est là que les choses s’embrouillent.
Comme on pouvait s’y attendre, depuis quelque temps, la grande partie des productions rap souffre d’une carence de qualité. À part quelques exceptions, les gars ne produisent presque rien qui sort de l’ordinaire. Le bling-bling, la grivoiserie ont souvent eu raison de la créativité.
Textes sexistes, beats « copier-coller ». Les thématiques tournent plutôt au tour du sexe, du « Swagg », du « Bad Boy ». Tristement, le secteur est sombré dans une monotonie contagieuse. En grande partie, ce qui en reste aujourd’hui n’est que l’apologie d’une obscénité musicale de plus en plus répugnante. Mais qui fait les délices des « bredjenn ».
Dans la foulée, certains parents se montrent inquiets quant à l’influence du RK sur leurs enfants. Car plus que jamais, la tendance est perçue comme une promotion de la débauche et de l’insouciance pour une jeunesse avide de la vulgarité. Une société en proie à de bons repères.
En effet, même si la longévité suscite des inquiétudes, mais un fait est certain ; la page du rap est encore loin d’être tournée en Haïti. Car malgré cette lecture générale plutôt alarmante, la tendance peut encore miser sur certains talents. Car toutes les voix ne seraient jamais nuisibles et inutiles. Certaines œuvres sont à apprécier. Des voix dignes de leurs habilités intellectuelles et de leurs responsabilités en tant qu’artistes.
Ils sont minimes, certes. Mais leur travail bien fait est d’une grande portée sociale. Lyrics de qualité, clips soignés, ces derniers incarnent le rêve de Master Dji ; celui de faire un rap-conscient au profit d’une génération acquise à la cause du mouvement.
Osman Jérôme
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