Quand je marche dans la vallée de l’Artibonite
Haïti, géographiquement, c’est 27 750 km2 reparties en 10 départements. Chaque département a ses cotations et ses potentialités. En termes de superficie et de population, l’Artibonite, dont la production rizicole a fait la célébrité, est l’un des plus vastes. Si ce n’est pas le plus grand ?
Avec ces 5 arrondissements divisés en 15 communes, il représente l’une des plus importantes régions de la République sur le plan socio-historique. On y retrouve entre autres la ville des Gonaïves (Cité de l’Indépendance), la maison de Claire Heureuse et de Jean Jacques Dessalines à Marchand Dessalines, le Fort de la Crête à Pierrot et le Palais 365 portes à Petite Rivière de l’Artibonite…les vestiges historiques sont partout ici.
Cependant, depuis quelques temps, le département, à l’instar de certaines autres parties du pays, semble être victime du regard « kite’l mache » (méprisant) des autorités, qui ne savent toujours pas de quoi faire leurs priorités.
Les réserves agricoles de la plaine ne sont plus les mêmes. Les potentialités touristiques sont laissées au mépris. Les ressources naturelles sont loin d’être exploitées. D’où me viennent certaines inquiétudes, quand je promène dans la vallée de l’Artibonite:
Quand je marche dans la vallée de l’Artibonite, de Saint-Marc aux Gonaïves, passagers et chauffeurs ne peuvent pas trop se plaindre pour le trajet. Le tronçon est de bonne qualité. Mais, il n’y a pas même un poste de police de circulation sur la route nationale #1. Route nationale #1, j’ai bien dit hein. Les conducteurs roulent au gré de leur urgence.
Quand je marche dans la vallée de l’Artibonite, je suis désolé de voir que la couverture végétale est considérablement réduite. Les sommets des montagnes perdent leur beauté verdoyante. Souffrant de calvitie, les montagnes ne servent presque plus à la production de cacao, du café…Elles sont livrées à la solitude. Donc, le paysage n’est plus reposé dans de verts pâturages.
Quand je marche dans la vallée de l’Artibonite, à quelques pas de la Cité de l’Indépendance, j’observe que la « Savane désolée » pleure encore. Elle n’est jamais mise en valeur. Pourtant, ce vaste champ servirait bien à construire un stade de foot, un complexe sportif, un parc industriel…
Quand je marche dans la vallée de l’Artibonite, les rivières, les collines dressent devant moi l’esthétique de l’inélégance. Elles sont joliment remplies d’herbes et de déchets. Y a une nécessité d’irrigation. La plaine souffre souvent d’un déficit hydrique, notamment dans les saisons de sécheresse. Les paysans, les cultivateurs sont donc livrés à eux-mêmes. Ils s’adonnent désespérément à des terres qui ne produisent presque plus.
Quand je marche dans la vallée de l’Artibonite, je suis peiné de voir que les rues, les trottoirs servent désormais de marchés improvisés. A Pierre Peyen, à Saint-Marc, à l’Estère, aux Gonaïves, c’est le même constat : les commerçantes et commerçants étalent leurs marchandises à la poussière du sol. Insalubrité garantie !
Quand je marche dans la vallée de l’Artibonite, je trouve que les gens ne se divorcent jamais des pratiques de la magie. Les carrefours sont toujours décorés de cruches, de petites chaises en paille, de bougies, d’assiettes…L’Artibonitien (Haïtien), même s’il se dit être chrétien protestant ou catholique, est un abonné des péristyles des hougans. Pour gagner une partie de foot, un combat de coq, un prêtre vodou doit être consulté. L’Artibonitien authentique ne prend rien à la futilité. Même une douleur aux pieds 🙂
Quand je marche dans la vallée de l’Artibonite, j’ai appris que les vieux conflits terriens divisent encore la grande famille artibonitienne. À Marchand Dessalines ou à Petite Rivière de l’Artibonite, les hectares de terre mal distribués sont susceptibles à faire sauter des maisonnettes en fumée, ôter la vie à des gens de manière gratuite.
Quand je marche dans la vallée de l’Artibonite, je me rends compte que l’électricité reste toujours un produit de luxe pour la grande partie de la population. Ça ne dit rien aux responsables de l’ED’H que les abonnés continuent à payer un service dont ils ne perçoivent presque pas l’odeur.
Quand je marche dans la vallée de l’Artibonite, j’ai vu et même trop vu. Il manque au département, cette politique de redressement socio-économique qui, bien évidemment doit s’appuyer sur la mise en valeur des ressources agricoles, des potentialités touristiques et historiques disponibles. Malheureusement, tel n’est pas encore la priorité des représentants régionaux.
Osman Jérôme
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