Ma première nuit avec une prostituée en République Dominicaine

À Puerto Plata (République dominicaine), particulièrement à Sosúa, quand le soleil se tourne le dos à la surface de la terre, laissant libre pouvoir aux ombres de la nuit. C’est toute une autre forme de vie qui s’ouvre aux amateurs des ambiances nocturnes. Les trottoirs, les casinos, les boîtes de nuit, les bars […], pour des raisons diverses, à chacun sa destination. Il suffit d’être quelque part, qui invite aux divertissements.
Voilà, un samedi soir d’été comme je les aime. Je laisse la maison à l’idée d’un nouveau flirt avec l’intimité de la vie nocturne de Sosúa, une zone réputée pour son attitude insomniaque. Ce soir, contrairement à certaines fois où je sors en compagnie de copains, c’était juste le mec qui partait jouir en solo son petit plaisir, sans une quelconque compagnie qui aurait pu être nuisible à certaines expériences.
Après une vingtaine de minutes en taxi, me voilà bien arrivé à City Light, lieu très fréquenté par des compatriotes haïtiens. Peut-être parce que le DJ de service est-il un Haïtien. Bref. Même si je suis un habitué de l’espace, c’est toujours avec les mêmes émotions d’avant que je fréquente ce bar, où les occupants sont souvent d’humeur festive. Un état d’allégresse qui laisse peu de place aux problèmes d’hier, aux inquiétudes de demain. Ici, le client est invité à oublier ses soucis, à vivre l’instant présent, même si cela demande parfois d’avoir une attitude dépensière.
Entre trois morceaux de musique et un verre à moitié vidé, il est déjà dix heures trente minutes. La nuit est jeune. Les jeux de lumière, l’exhibitionnisme de certaines filles qui tentent d’attirer la clientèle sexuelle, la synchronisation des corps en mouvement, des salutations et des accolades […], autour de moi l’ambiance gagne de plus en plus en intensité. Entre-temps, dans une courte robe moulante, mettant à l’honneur l’impeccable architecture de son corps, une jolie demoiselle, assurée comme elle seule sur ses pas bien articulés fait son apparition.
Il fallait être aveugle pour ne pas accepter de perdre volontairement quelques secondes de son temps à regarder son postérieur; une véritable mine de tentation. Elle arrive avec son corps remplit d’attirance, sa bouche pleine de séduction. Ses habits, son regard, sa beauté […], elle mobilisait autour d’elle une bonne partie de la salle, accrochée à son charme. Ne me demandez surtout pas si, moi aussi, j’ai été séduit.
Soudain, une chose exceptionnelle vient de se passer : la gazelle s’assoit juste à côté de moi. On dirait une espèce invisible a exaucé ma demande en secret. Le parfum de la jeune femme me rappelle au passage l’odeur de Fabie; ce qui était déjà une invitation à m’adresser à elle. Mais elle m’a devancé, prétextant vouloir savoir quelle heure il est. À peine arrivée, je doute fort qu’elle en ait eu réellement besoin. D’ailleurs, je remarque qu’elle a un sourire facile et une générosité douteuse. Peut-être était-ce sa manière d’entamer la conversation avec moi. Ce qui ne m’a dérangé en rien. Au contraire !
Le premier contact est établi. Chacun de son côté est sur ses gardes : pas question de tomber dans une espèce d’impolitesse anticipée. Mais, après deux ou trois plaisanteries, on s’est lâchés un peu. Ce qui a facilité le dialogue, qui sera une suite mémorable.
Amis lecteurs, permettez-moi d’identifier mon interlocutrice par Clara. Elle vient à peine de fêter ses vingt-deux ans. Elle est née d’un père dominicain, de qui elle garde peu de bons souvenirs, et d’une mère haïtienne dont elle n’a pas eu les nouvelles depuis quelques années. Les parents de Clara se sont séparés, alors que la fille allait atteindre l’âge de la puberté. Elle a été confiée à une tante, la sœur de son père, qui avait apparemment d’autres occupations bien plus importantes que la garde d’une gamine, exposée à des mauvaises fréquentations dans un quartier marginalisé. Ayant abandonné très tôt, à dix-sept ans, Clara est tombée enceinte. Elle en aura gardé d’intenses remords.
Il est bientôt minuit. L’ambiance s’intensifie. L’espace est de plus en plus chauffé. Entre-temps, je viens d’apprendre que Clara est travailleuse de sexe. Donc, contrairement à mes premières idées, elle n’est pas au club pour se relaxer en fin de semaine. Elle y est pour travailler. D’ailleurs, c’est son métier depuis tantôt trois ans. Dans l’intervalle, elle s’arrange pour faire de moi un nouveau client.
Plus l’heure avance, plus le club devient de plus en plus compact. Les hélices des ventilateurs ne peuvent presque rien contre la chaleur. Clara me tient toujours compagnie. Alors qu’une bonne partie de la salle bouge au rythme du tube planétaire « Despacito », Clara essaie plutôt d’esquisser son sourire à certains admirateurs, pendant qu’elle maintient notre conversation. Même si par moment elle paraît un peu ennuyée par la curiosité de certaines de mes questions.
Ne se montrant pas avoir ouvertement une dent contre ses sœurs se livrant au même métier que lui, la jeune maman exprime des inquiétudes quant à la rentabilité économique de ce travail auquel elle se livre, à cause de la dure réalité quotidienne. La frustration pour Clara et pour beaucoup d’autres pratiquantes, parfois, est de passer toute la nuit à charmer une clientèle de plus en plus difficile, puis rentrer à la maison sans un centime.
«D’ailleurs, n’était-ce pas pour répondre aux besoins notamment de ma fille sans papa, je ne me livrerais jamais à une telle activité humiliante », lance t-elle froidement. Et on pouvait lire sur son visage une sorte de honte d’appartenir à cette catégorie de femmes, qui tentent de gagner leur vie avec ce qu’elles possèdent de plus intime en tant que personne.
Plus de deux minutes se sont écoulées. Elle reste figée sur son siège comme une statue. Elle a voulu sortir une cigarette, peut-être à l’idée d’apaiser son angoisse. Mais, le fait que je ne fume pas, elle se cherche plutôt un soulagement dans son verre de rhum vidée d’une seule gorgée. On avance vers les deux heures du matin. Elle ne sait toujours pas si elle pourra négocier avec moi pour le reste de la nuit. C’est ainsi que quelqu’un l’a salué de la main. C’est un client de longue date. Elle s’est gentiment excusée pour rejoindre le type, n’ayant aucune ressemblance d’un Haïtien ou d’un Dominicain.
Une dizaine de minutes après, Clara est de retour, mais avec un visage beaucoup plus détendu qu’avant, car elle a pu trouver un client. Après le club, elle va passer du temps avec ce touriste qu’elle a rencontré pour une fois sur une plage. Et en parlant de clients, Clara appartient à ces travailleuses de sexe haïtiennes en République dominicaine, qui détestent avoir affaires avec des Haïtiens. Elle reproche à ces derniers d’être trop exigeants, pendant qu’ils ne payent pas assez le service.
À vingt-deux ans, Clara traîne derrière elle une carrière de travailleuse de sexe de plus de trois ans. Elle a fréquenté presque tous les bordels de la ville. Parfois, elle va même tenter sa chance dans d’autres régions du pays. Entre-temps, elle rencontre tous types de clients ; des gens de bien, des vagabonds, des touristes, des hommes mariés, des célibataires […].
Il est bientôt trois heures du matin. La fatigue se fait sentir. Si certains refusent de partir et jurent de rentrer chez eux à l’aube, d’autres profitent d’aller se reposer ou de s’offrir quelque chose de plus intime. Le temps pour Clara de me dire au revoir et de retrouver le barbu qui l’attend à la porte de sortie, l’air impatient. Et moi d’avaler ce qui restait de mon verre, avant de rentrer chez moi, surtout avec les images de la jeune femme qui traînent dans ma tête jusqu’à la publication de ce billet.
Osman Jérôme
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