Dix minutes dans la peau d’un SDF
Dans ce morceau de ciel bleu de Puerto Plata, parfois tout se passe comme dans une aventure onirique : des touristes torse nu sous le soleil, des chauffeurs méprisant les feux tricolores, des boîtes de nuit qui fonctionnent en plein jour… et aussi des personnes sans-abri qui remplissent les galeries poussiéreuses des maisons inhabitées.
Il est 10 heures du matin, ce jeudi 2 avril 2015, circonstance du hasard, me voici traîné sur les trottoirs vidés de la rue Juan Bosch, au cœur même de la ville.
Là, entre la musique du bazar au coin et la forte odeur de l’alcool qui s’y dégage, à même le sol, un individu est piteusement allongé. Casquette sous la tête, main droite sur la poitrine, les pieds allongés, les yeux semi-ouverts, la face vers le ciel. Une image qui déchire la rétine.
À plus de 70 ans, ce mendiant appartient à ces êtres dont les bonnes grâces de la vie semblent obstinément rejetées. Souffrant de diabète, depuis la mort de ses deux fils en 2010 dans un terrible accident de voiture, le vieillard se livre depuis à une inlassable quête de survie dans un monde de plus en plus fermé aux démunis.
Pour cet homme à bout de ressources, mais autrefois grand propriétaire terrien, demander l’aumône est l’ultime moyen de goûter à quelques jours de plus.
Le ventre hurlant famine, la tête vide, le corps épuisé à l’instar des milliers de personnes vivant sans domicile fixe dans le monde, tel est le lot de ce Dominicain d’origine haïtienne. Son rituel quotidien consiste à errer dans les rues de la ville, toujours avec les mêmes soucis ; trouver à manger, à boire et un lieu pour se reposer. L’homme est à la merci des bons samaritains.
Après une dizaine de minutes de conversation, notre interlocuteur montre des signes de fatigue. D’ailleurs, la toux qui secoue sa poitrine lui rend la communication difficile. Il fallait lui offrir quelque chose à manger, afin qu’il retrouve une goutte d’énergie pour continuer le dialogue.
Ravigoté par un sandwich, le vieil homme reprend sa première position; assis en tailleur, une main sous la tête, et l’autre entre les cuisses. Pendant quelques secondes, il plonge dans une profonde méditation silencieuse. Et dans un long soupir marqué tant de désespoir que d’indignation, il plisse ses paupières. Pour combien de temps ? Aucune idée. Mais ce qui est certain,c’est qu’il y a forte chance qu’on se recroise quelque part dans la ville.
Osman Jérôme
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