Lettre ouverte aux reporters culturels/Le Message poétique
Après 18 ans d’existence, « Livres en Folie« est, incontestablement la plus grande foire du livre en Haïti. C’est un espace de partage entre auteurs et lecteurs qui sont toujours heureux de se rejoindre. Cependant, malgré le succès et la notoriété dont jouissent cette activité littéraire, son mode d’organisation laisse toujours une saveur insatisfaisante aux lèvres de certains observateurs, dont Webert Charles, un jeune auteur, qui ne va pas avec le dos de la cuillère pour critiquer la manière inélégante dont certains reporters culturels abordent les auteurs en signature. Lis et comprends.
Depuis plusieurs années je suis l’événement traditionnel, Livres en Folie (Haïti). Nombreux sont ceux qui critiquent l’organisation voire la tradition de cette foire du livre. Moi, ce qui m’a toujours intrigué, ce n’est pas l’organisation ni l’activité ou les rencontres, c’est de préférence les reporters culturels. Etre reporter culturel, ce n’est pas cela le problème, mais la nature des questions qu’on pose aux écrivains. Doit-on aborder un écrivain politique de la même manière qu’un poète ou un romancier ? Je crois qu’il y a là une erreur méthodologique qu’il faudrait réparer.
L’année dernière, à la 17e édition de Livres en Folie, un reporter posa la question suivante à Frankétienne après l’avoir posée à Dany Laferrière et à bien d’autres : « quel message voulez-vous faire passer dans ce livre ? » La question, bien sur, a embarrassé les écrivains et Frankétienne a même répondu avec un peu d’ironie : « Je vois que aimez cette histoire de message » Et cette année encore la même erreur s’est reproduite. Une œuvre poétique, a-t-elle un message ?
La réponse pourrait bien vous surprendre. Pour le critique littéraire François Bilodeau « une œuvre n’a rien à dire, sinon elle le dirait sans ambages ; une œuvre existe, à la façon d’une personne, avec un halo qui la définit dans sa réalité intime » Pour l’auteur de Balzac et le jeu des mots, l’œuvre (poétique) est. Elle n’a pas de fonction, donc pas de message. Je pense ici, sans doute, à Charles Baudelaire qui questionnait la fonction de la poésie. Je ne veux pas tomber dans une poétique du non-sens ou dans un surréalisme à outrance. La poésie, dans son sens premier (créer, fabriquer) ne s’enracine pas forcément dans une réalité, Elle peut évoquer cette réalité, la transfigurer ou la fuir. Lyonel Trouillot, dans son esthétique du délabrement avait bien compris que les poètes n’ont « pas de mémoire », d’où l’incommodité de la poésie moderne à faire passer un message social. Le poète est différent du journaliste, son rôle est de créer un effet esthétique. Le linguiste Jakobson n’avait pas omis cette fonction du langage qui est la fonction poétique, Son « message est centré sur lui-même, sur sa forme esthétique ». Loin de tomber dans la théorie de l’art pour l’art qui serait une mauvaise interprétation du message poétique ou dans une masturbation intellectuelle. On doit comprendre, par là, que le message poétique est sensoriel. C’est un impact crée chez le lecteur. La poésie, comme toute œuvre littéraire, s’accomplit dans sa lecture. Donc « l’histoire d’une œuvre serait avant tout l’histoire des lectures qui ont en été faites » (F. Bilodeau). De là, surgit la problématique de la littérarité ou de la poéticité d’une œuvre, Existe-t-il d’œuvres poétiques ou de lectures poétiques d’une œuvre ? C’est ici un autre débat. Le message poétique se crée dans sa lecture, d’où sa pluri-dimensionnalité. Pour expliciter le message poétique on peut prendre l’exemple du fameux poème de Man Ray, le poème phonétique, qui est composé uniquement de barres horizontales et d’espaces, sans mots. Tout le monde s’accorde pour dire que c’est un poème, par sa forme et livre son message esthétique. On peut voir ici que la poésie est antérieure au sens, à la compréhension et au message. La poésie n’est pas une confrérie et sa lecture n’est pas réservée aux intellectuelles comme on a tendance à le penser. Le problème se pose dés le départ. Il ne s’agit pas de comprendre, ni d’informer mais de sentir. Car la poésie s’ouvre au lecteur créant ainsi son propre message esthétique.
Webert Charles
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