Manger en pleine rue, une nécessité en Haïti

15 mars 2012

Manger en pleine rue, une nécessité en Haïti

 

Des restaurants en pleine rue à Port-au-Prince © Osman Jérôme
Des restaurants en pleine rue à Port-au-Prince © Osman Jérôme

« Ventre affamé n’a point d’oreilles », pour reprendre le vieil adage. Se nourrir est un besoin physiologique, dont l’homme ne peut se passer pour son bien-être physique. Même si, nombreux sont ceux qui n’ont pas accès à ce droit fondamental. Surtout dans des pays comme Haïti, où le pouvoir d’achat reste la faveur d’une minorité sociale.

En effet, se payer le « luxe » de déjeuner, dîner ou souper dans un restaurant digne de ce nom, ne revient pas à tous. Ainsi, pour gérer leur panse, certains préfèrent se tourner sous ces tentes, où des cuisinières, réputées souvent, de cordons bleus, accueillent des petites bourses.

Des restaurants en pleine rue à Port-au-Prince © Osman Jérôme

Toitures en tôles ou en nattes, rares sont les rues de la ville de Saint-Marc, à ne pas être décorées par ces petites maisonnettes et tentes, apartenues à ces cuisinières, qui servent une clientèle, de jour en jour plus nombreuse. Et, cette pratique reflète la même réalité sur tout le territoire national.

Dans la plupart du temps, ces « Machann manje » (marchandes de nourritures), s’installent au bord de la route ou dans des endroits très fréquentés : les marchés, les places publiques, les garres routières, etc.

Là, entre les tats d’immondices et les polluants de l’air, provenant des automobiles, les plats se vendent avec une rapidité telle qu’on se croirait en train de rêver les yeux ouverts. Entre le sourire de la serveuse et la résignation des consommateurs, les commandes sont livreés, dégusteés, et parfois même emportées avec un engouement sans mesure.

« Aleken », « chen janbe », « bann a pye », telles sont entre autres quelques expressions, par lesquelles on qualifie familièrement ou ironiquement ces plats, livrés parfois en dehors des normes d’hygiène. Grignoter quelque chose dans de telles situations, est préjudiciable à la santé, mais, hélas, les consommateurs n’ont pas d’autres alternatives, s’ils ne veulent pas mourir de faim.

Sur cette table, parfois très longue, on identifie : profs, étudiants, porteurs, cireurs de bottes, marchands ambulants, etc, tous pour un même but : apaiser leur faim selon leur compte.

Emprisonnés par le chômage, les gens ont souvent du mal à se nourrir comme cela devrait être. « Quand on ne mange pas ce qu’on aime, on aime ce qu’on mange », avouent certains d’entr’eux. A défaut de pouvoir feuilleter le riche menu d’un restaurant approprié, on se rabbat sans complexe aux coins (du marché ou de la place), là où les chaudrons sont campés pour les petites poches. « Le crocodile affamé ne choisit pas sa proie », dirait le proverbe.

Il fallait au moins 200 à 250 gourdes pour commander un plat dans l’un des restaurants où les normes d’hygiène sont plus ou moins respectées. Alors qu’avec 25 ou 50 gourdes on consomme son « aleken, chen janbe, bann a pye ». La différence est grande. Voire dans la plupart des cas, la sapidité des plats n’intéresse guère le consommateur, cherchant à tout prix à se débarasser de cette faim, qui lui monte une saveur de fiel aux lèvres.

Le prix des produits de première nécessité, qui ne cesse de prendre des échelons, et le chômage, qui gagne constemment du terrain dans le jeu socio-économique du pays, sont entre autres des principaux facteurs, favorisant cette pratique ( de manger n’importe où et n’importe comment), avec laquelle qu’on s’acommode de jour en jour, sans même s’en rendre compte.

Plus que le prix des produits est en hausse, plus  le pouvoir d’achat des gens est en baisse, voire disparait. Or, il faut manger. Mais quoi ?, comment ? La vente des nourritures en pleine rue est une forme de réponse à ces interrogations. C’est une pratique, qui se s’étend de jour en jour sur nos villes, répond à un besoin pressant de la population, ayant déjà fait récemment la dure expérience de « Grangou kloròks » (faim aigüe).

Comme dirait l’Haïtien lui-même : « Bouch tout moun fann pou manje » (on doit manger à sa faim), et « Sak vid pa kanpe » (ventre affamé n’a point d’oreilles). Donc, on s’attend à l’amélioration de la condition de vie des gens, pour que la nourriture ne soit plus un produit de luxe, surtout quand on sait que la faim est mauvaise conseillère et « Un homme qui a faim n’est pas un homme libre», conclurait Adlaï Stevenson.

Osman Jérome

Partagez

Commentaires

rodolphe ernest
Répondre

felicitation pour ce regard critique sur la societe hatienne.quand on sait que le droit a la nouriture est un droit inalienable parece que cést devenu selectif dans notre societe

Osman Jérôme
Répondre

Merci pour ton support, travaillons tous pour que « L’autre et la nouvelle Haïti » ne soit plus n rêve, menoté dans la pensée de nos intellectuels. Que cela devienne une réalité.

Andriamihaja Guénolé
Répondre

Moi je pense que la cuisine dans les gargotes et celles des "Machann manje " est meilleure que celle dans les grands restos. En effet dans ces derniers, ils ont plus de charges (patente, électricité) et c'est pour cela que les plats sont chers. Mais les "Machann manje " comme on dit dans ton pays peuvent vraiment être des cordons bleus, il faudrait tout simplement les encadrer, leur donner des formations pour qu'elles excellent dans leur petit commerce qui sauve les petites bourses (notamment question hygiène, etc)!
A part ça bon appétit et amitiés ;)

Osman Jérôme
Répondre

Je suis entièrment d’accord avec ton approche Adriamihaja, d’ailleurs je peux te l’avouer, que je suis un client d’une « Machann manje », très connue de la ville. Mis à part le facteur d’hygiène, évoqué dans le billet, les plats, dans la grande majorité des cas sont très délicieux. Qui sait, je t’attends un jour ici pour une expérience, lol.

Joel AVRIL
Répondre

Konpliman pou bel tesk sa, Osman... Ayiti kote grangou ap fe ravaj... e moun ap manje san reflechi ak kote manje a soti. Big ap kontan li tesk sa

Osman Jérôme
Répondre

@ Avril : si Big toujou ap bay sèvis devan fac la, mwen swete li fè yon jan pou li jere zafè fatra a wi. Lol

Nelson
Répondre

savais tu qu'il ya des anciens presidents qui frequentaients ces marchands. si tu pouvais trouver un cliche d'un parlementaire qui est sous l'une de ces tentes cela dirait bcp!

Osman Jérôme
Répondre

@ Nelson: oui je le sais, surtout que ce phénomène de manger n’importe où et n’importe comment n’est pas l’affaire d’une classe, ça concerne toute cette bonne partie de la population, qui se livre à elle-même pour gérer son ventre. Pour ce qui est du cliché déjà si tu penses m’aider à le retrouver, lol.

Watson Marseille
Répondre

Sujet bien élaboré mon ami. Sans vous cacher mon frère, je suis un habitué des ces tentes, non seulement pour l’aspect économique, mais je trouve ces plats offerts par ces cuisinières habiles, n’ont rien à envier à ceux de ces grands restaurants, qui ne répndent pas à nos bourses. Comme l’a déjà souligné un ami, il suffit seulement un encadrément de ces « Machann manje », je vous jure que les gens ne fréquenteraient moins ces restaurants, taxés de luxe.

louis
Répondre

Bco, ton texte retrace un peu qq'un qui a une bonne notion en anthropologie medicale, t'imagine pas my man,he ben si.

Jean Hubert
Répondre

L'Haitiens ne mange pas dans la rue,mois lorsque j'achete un
'' chin jambe" je le mange dans ma bouche, pas dans la rue