Manger en pleine rue, une nécessité en Haïti
« Ventre affamé n’a point d’oreilles », pour reprendre le vieil adage. Se nourrir est un besoin physiologique, dont l’homme ne peut se passer pour son bien-être physique. Même si, nombreux sont ceux qui n’ont pas accès à ce droit fondamental. Surtout dans des pays comme Haïti, où le pouvoir d’achat reste la faveur d’une minorité sociale.
En effet, se payer le « luxe » de déjeuner, dîner ou souper dans un restaurant digne de ce nom, ne revient pas à tous. Ainsi, pour gérer leur panse, certains préfèrent se tourner sous ces tentes, où des cuisinières, réputées souvent, de cordons bleus, accueillent des petites bourses.
Toitures en tôles ou en nattes, rares sont les rues de la ville de Saint-Marc, à ne pas être décorées par ces petites maisonnettes et tentes, apartenues à ces cuisinières, qui servent une clientèle, de jour en jour plus nombreuse. Et, cette pratique reflète la même réalité sur tout le territoire national.
Dans la plupart du temps, ces « Machann manje » (marchandes de nourritures), s’installent au bord de la route ou dans des endroits très fréquentés : les marchés, les places publiques, les garres routières, etc.
Là, entre les tats d’immondices et les polluants de l’air, provenant des automobiles, les plats se vendent avec une rapidité telle qu’on se croirait en train de rêver les yeux ouverts. Entre le sourire de la serveuse et la résignation des consommateurs, les commandes sont livreés, dégusteés, et parfois même emportées avec un engouement sans mesure.
« Aleken », « chen janbe », « bann a pye », telles sont entre autres quelques expressions, par lesquelles on qualifie familièrement ou ironiquement ces plats, livrés parfois en dehors des normes d’hygiène. Grignoter quelque chose dans de telles situations, est préjudiciable à la santé, mais, hélas, les consommateurs n’ont pas d’autres alternatives, s’ils ne veulent pas mourir de faim.
Sur cette table, parfois très longue, on identifie : profs, étudiants, porteurs, cireurs de bottes, marchands ambulants, etc, tous pour un même but : apaiser leur faim selon leur compte.
Emprisonnés par le chômage, les gens ont souvent du mal à se nourrir comme cela devrait être. « Quand on ne mange pas ce qu’on aime, on aime ce qu’on mange », avouent certains d’entr’eux. A défaut de pouvoir feuilleter le riche menu d’un restaurant approprié, on se rabbat sans complexe aux coins (du marché ou de la place), là où les chaudrons sont campés pour les petites poches. « Le crocodile affamé ne choisit pas sa proie », dirait le proverbe.
Il fallait au moins 200 à 250 gourdes pour commander un plat dans l’un des restaurants où les normes d’hygiène sont plus ou moins respectées. Alors qu’avec 25 ou 50 gourdes on consomme son « aleken, chen janbe, bann a pye ». La différence est grande. Voire dans la plupart des cas, la sapidité des plats n’intéresse guère le consommateur, cherchant à tout prix à se débarasser de cette faim, qui lui monte une saveur de fiel aux lèvres.
Le prix des produits de première nécessité, qui ne cesse de prendre des échelons, et le chômage, qui gagne constemment du terrain dans le jeu socio-économique du pays, sont entre autres des principaux facteurs, favorisant cette pratique ( de manger n’importe où et n’importe comment), avec laquelle qu’on s’acommode de jour en jour, sans même s’en rendre compte.
Plus que le prix des produits est en hausse, plus le pouvoir d’achat des gens est en baisse, voire disparait. Or, il faut manger. Mais quoi ?, comment ? La vente des nourritures en pleine rue est une forme de réponse à ces interrogations. C’est une pratique, qui se s’étend de jour en jour sur nos villes, répond à un besoin pressant de la population, ayant déjà fait récemment la dure expérience de « Grangou kloròks » (faim aigüe).
Comme dirait l’Haïtien lui-même : « Bouch tout moun fann pou manje » (on doit manger à sa faim), et « Sak vid pa kanpe » (ventre affamé n’a point d’oreilles). Donc, on s’attend à l’amélioration de la condition de vie des gens, pour que la nourriture ne soit plus un produit de luxe, surtout quand on sait que la faim est mauvaise conseillère et « Un homme qui a faim n’est pas un homme libre», conclurait Adlaï Stevenson.
Osman Jérome
Commentaires