Le «français» : langue d’Inclusion et d’Exclusion en Haïti
La République d’Haïti est, selon l’article 5 de la Constitution de 1987, juridiquement bilingue. Le créole et le français sont reconnus comme les deux langues officielles. Cependant, le français (l’héritage de la colonisation) demeure une langue seconde pour la plupart des Haïtiens. Donc, la langue identitaire est le créole.
Exigences grammaticales. Complexités orthographiques, s’exprimer aisément en français pour certains Haïtiens (comme pour beaucoup d’autres peuples francophones d’ailleurs), n’est pas comme se livrer à une partie de dominos. Surtout si on n’a pas eu la bénédiction d’aller à l’école.
Dans ce contexte où parler correctement le français devient un art, celui qui s’y connait excellemment est souvent considéré comme un cultivé. C’est une sorte de distinction sociale. Ce qui donne tout bonnement au français, une fonction plus symbolique que communicative, comme dirait le linguiste Pierre Vernet.
Celui qui est capable de bien articuler son français, est reçu très souvent avec moins de difficultés dans certains bureaux publics et privés. D’ailleurs, quand vous ne pouvez pas aisément faire le chœur au refrain: « En quoi puis-je vous aider monsieur ou madame ? », vous risquez de commettre un péché impardonnable.
Le créole vs le français : une lutte de classe
Cette lutte entre ces deux langues n’est pas nouvelle. Elle est surtout liée à une de lutte de classe tout au long de l’histoire d’Haïti où le français a toujours été attribué à la classe dominante et le créole à la classe dominée. Le français pour les «nèg anwo» (classe aisée) et le créole pour les «nèg anba» (classe défavorisée).
Par conséquent, celui qui sait parler le français est souvent pris comme supérieur à celui qui ne parle que sa langue maternelle. On peut s’exprimer en français, on appartient à tel groupe social, on ne parle que le créole, on appartient à tel autre groupe de la société. La division n’est pas symbolique.
Par ailleurs, si la Constitution reconnait les deux langues comme officielles, pourquoi certaines institutions scolaires interdisent aux élèves de s’exprimer en créole sur la cour des établissements ?, s’interrogent certains observateurs, qualifiant ces mesures discriminantes et exclusives, arguant que le créole demeure la langue qui permet à tous les Haïtiens de se comprendre entre eux.
Ici en Haïti, le français n’est pas seulement un outil de communication, c’est aussi un séparateur entre deux classes d’homme d’une même société : l’une qui sait lire et écrire, donc ayant une certaine probabilité à s’exprimer dans la langue de Verlaine. Et une autre qui, bien souvent ne sait ni lire, ni écrire. Ou du moins, qui se débrouille comme elle peut. Donc, qui ne s’exprime que dans son «bwa» créole. Ce créole qui, malheureusement sur le plan social, n’est pas trop valorisé. Car il est associé à la masse. En fait, c’est le français, la langue de prestige. Adjewidan !
Sur ce, je termine ce post, en rejoignant Pierre Bourdieu, qui a dit que : «Si les linguistes ont raison de dire que toutes les langues se valent linguistiquement; ils ont tort de dire qu’elles se valent socialement».
Osman Jérôme
Commentaires