Osman Jérôme

Dans l’effervescence d’une gare à Cité Soleil

Gare de Cité Soleil, Haïti © Osman Jérôme
Gare de Cité Soleil, Haïti © Osman Jérôme

Après avoir passé deux heures coincées dans un autocar venant de Saint-Marc, nous sommes enfin arrivés à Port-au-Prince. Il est déjà midi. Le soleil est de plomb sur la capitale.

Nous sommes à la gare, à Cité Soleil. Des camions sont anarchiquement stationnés, les camionnettes défilent dans toutes les directions, les marchands qui installent leurs étals crient… je reçois l’image d’une ville bouillonnante, ici, la vie bat son plein au rythme d’un TGV.

A la descente de l’autobus, un essaim de marchands ambulants assaillent les passagers, proposant toutes sortes de produits : journaux, bouquins, stylos à bille, médicaments, sucreries et mille autres objets.

Entre-temps, des mendiants ne vous laissent pas le temps de respirer. Parfois, ils sont tellement persistants que certains d’entre nous se sentent menacés.

Le décor n’a pas trop changé depuis ma dernière visite. Façades fissurées, murs craquelés, certains endroits portent encore les traces du 12 janvier 2010. Des placards publicitaires, des slogans, des revendications politiques salissent les murs.  Nous sommes face à une vraie esthétique du désordre.

Dans un désordre légalisé, un lot d’autobus, de taxis, de motos, tout s’empile presque les uns sur les autres. Klaxons des voitures, sirènes des camions, vrombissements des moteurs, hurlements des haut-parleurs, injures entre les chauffeurs assoiffés de passagers, nous voici face à un vacarme terrifiant, semblable à une folie collective.

Telle une colonie de fourmis, courant dans tous les sens, chacun essaie de se faire un passage au milieu d’une marée humaine, devenue de plus en plus dense au fil des minutes.

Sur la route qui mène au Centre-ville de Port-au-Prince, des véhicules sont engluées dans un monstre embouteillage. Ce qui énerve des passagers, entassés comme des sardines à l’arrière de plusieurs « tap-tap », bons pour les ateliers d’assemblage.

En effet, au milieu de ce déchainement, deux policiers tentent péniblement de régler la circulation. Mais leur présence semble n’est pas une garantie pour la sécurité de la zone. Car les cambrioleurs opèrent en toute quiétude.

Sous une tente difficilement debout, une scène attire quelques curieux. Visage déformé par le soleil, un moustachu, crane aussi lisse qu’une boule de billard ne peut pas retenir ses larmes. Il vient de se faire détrousser. L’homme est dans tous ses états.

En sanglotant dans son mouchoir, le cinquantenaire gémit des imprécations contre celui qui l’a enlevé plus de 15.000 GHT. La somme de toute une récolte de maïs, économisée pour payer l’écolage de sa fille, résidant à Port-au-Prince.

Son angoisse est frappante. Les raisons sont compréhensibles. Mais hélas, on ne fait pas de cadeau à personne à Port-au-Prince. Encore moins aux paysans fraichement débarqués.

Dans un soupir aussi long que le fleuve de l’Artibonite, la victime qui est originaire de Port-de-Paix, n’a pas eu froid de proférer des menaces contre le voleur. Il  a même juré que cet argent ne fera pas du bien au cambrioleur. Entre émotion et remords, on pèse rarement le poids des mots.

Les raclements des gorges, les sifflements des crachats, les spectateurs ont peur s’exprimer à haute voix. On préfère gronder. Surtout que personne ne sait si le détrousseur n’est pas dans la foule.

Il est midi et demi. À bord d’une camionnette pleine comme un œuf, je laisse la gare à la hâte. En rentrant chez moi, je ne peux m’empêcher de vérifier à chaque instant si mon portefeuille est là. Car les voleurs sont dans la ville.

Osman Jérôme


Haïtiens et Dominicains ou l’apologie de la déraison

Haïti et République dominicaine-©: https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/6/6e/La_espanola.JPG
Haïti et République dominicaine-©: https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/6/6e/La_espanola.JPG

Si les relations sociales et diplomatiques entre Port-au-Prince et Saint-Domingue n’ont jamais été bonnes et sincères, la détérioration atteint aujourd’hui un niveau qui inquiète les plus optimistes.

Et voilà depuis quelques jours, Haïti et République dominicaine retiennent les attentions au niveau de la région. Pour une autre fois, ce n’est ni pour un équilibre commercial entre les deux pays, encore moins une harmonisation entre les deux Républiques qui partagent la même île.

En effet, les derniers actes de violence enregistrés ces derniers jours des deux côtés de la frontière viennent envenimer des rapports sociaux et diplomatiques jamais francs auparavant.

Si jusque-là, les autorités diplomatiques des deux États restent très prudentes dans leurs interventions, quelques comportements des habitants des deux pays respectifs sont à déplorer. Pulsions irrationnelles, émotions incontrôlables, tantôt en Haïti comme en République dominicaine, certains actes posés sont indignes de la raison.

Dans une ambiance souvent ponctuée d’ignorance, les drapeaux brûlés, déchirés, souillés des deux nations voisines circulent hideusement sur la Toile. Faisant ainsi preuve d’une culture de haine nourrie par certains individus (Dominicains et Haïtiens) mal intentionnés.

Les réseaux sociaux aidant, certains Haïtiens et Dominicains se lancent vertement dans des insultes, menaces et provocations, dignes d’une apologie de rancune mutuelle. Une situation où le bon usage de la pensée est absent.

Par ailleurs, toujours dans le couloir des réseaux sociaux, les rumeurs et la désinformation s’invitent également de la partie. Ce qui crée un état de psychose chez des parents haïtiens ayant des enfants résidant en République dominicaine.

En fait, quand les amateurs de sensation se déchaînent à relayer n’importe quelle connerie ou image, non authentifiée, ça fait souvent beaucoup plus de tort que du bien à ceux qu’ils pensent défendre.

Entre-temps, en République dominicaine, beaucoup d’Haïtiens, notamment des étudiants gardent péniblement leur équilibre émotionnel. Car personne ne sait sur quoi on pourra déboucher dans les prochains jours.

En tout cas, pour réduire les risques des prochains dérapages, d’abord, les autorités des deux pays sont appelées à développer des franches collaborations, loin de toutes démagogies diplomatiques.

Ensuite, Haïtiens et Dominicains, célèbres pour leur côté émotif doivent désormais faire montre  de raison et de tolérance dans leurs actions et réactions. Car que l’on veuille ou non, Haïti et la République dominicaine sont condamnées à développer de bons rapports pour le progrès de deux nations.

Que ceux qui ont de l’intelligence, comprennent et agissent !

Osman Jérôme


Itinéraire d’une traversée incertaine

Crédit image © https://pixabay.com/p-236769/?no_redirect
Crédit image © https://pixabay.com/p-236769/?no_redirect

Les échecs de la vie n’épargnent personne. Néanmoins, les affronter demande courage et détermination. Une détermination à fixer de nouveaux horizons, souvent loin de sa famille, de ses amis et de son pays.

Anna appartient à ces milliers d’Haïtiens arrivés en République dominicaine par la force des choses. Pour gagner sa vie, elle a décidé d’atteindre le territoire voisin ; l’Eldorado, le paradis illusoire.

En condition migratoire illégale, la jeune femme de 21 ans a connu tous les déboires d’une immigrée inconfortable. Longtemps hésitante, aujourd’hui elle ne veut plus se résigner au sort imprévisible du destin. Surtout dans un pays qui ne veut presque pas de lui. Je l’ai rencontrée récemment chez un ami. Entre expérience, témoignage et indignation, le temps d’une confidence à cœur ouvert.

Mère depuis à l’âge de 17 ans, Anna a dû abandonner ses études plutôt que prévu. Que voulez-vous ? Déjà orpheline de mère et de père, la jeune maman doit s’occuper de sa progéniture, qu’elle élève d’ailleurs toute seule. Mais où est le père de l’enfant ? Pour rien au monde, celle qui dit avoir en horreur les hommes, ne veut pas revenir sur cette histoire.

En effet, en 2013, alors que tout paraissait presque sans issue, une tante (qui vivait déjà en République dominicaine) l’invite à lui rejoindre. Ce qui a été fait dans l’immédiat. Et depuis, Anna se démène comme un diable dans un bénitier pour se faire une vie sur cette terre, où l’Haïtien est une bête à chasser.

« Au départ, ça allait plus ou moins bien. Ma tante avait un petit commerce. Tant bien que mal, on s’occupait de nos besoins primaires », a-t-elle confié avec une voix pleine de nostalgie.

Quelques mois seulement après son arrivée, les difficultés ont commencé. Notamment à la suite du décès de cette tante, souffrant pendant longtemps d’un cancer de poumon. Durant l’hospitalisation, et jusqu’à la mort de la défunte, qu’elle regrette encore d’ailleurs, la jeune femme se rappelle avoir dépensé tout ce qu’elles ont eu comme économie. Au point aujourd’hui qu’elle a encore des dettes à rembourser.

Sa tante n’est plus. La situation qui n’était pas si facile avant, devient plus corsée. Un loyer à payer, une fillette en Haïti à s’occuper [..], contrairement à ses premières aspirations, entre l’alcool et la prostitution, la jeune mère mène un train de vie de bohème.

« Tout d’abord, j’ai essayé à la prostitution. Mais ça n’a pas marché. Ce n’est pas que le secteur n’est pas rentable, mais je ne m’y retrouve pas. Car certains clients, surtout des « blancs » me font souvent pression pour avoir des rapports sexuels sans préservatifs », a-t-elle lamenté.

« Par ailleurs, quand je pensais pouvoir mener une vie amoureuse normale, c’est la galère. Je ne me je vois pas dans les bras d’un Dominicain. Et les Haïtiens croisés sur mon chemin ne veulent que profiter de mon corps », a-t-elle soupiré avec une haine à peine voilée.

Plus loin, notre interlocutrice explique avoir déjà vainement tenté autres choses pour subvenir à ses besoins. « J’ai une petite barque au marché public, mais c’est un véritable calvaire que je monte avec certains agents de sécurité communale. Dernièrement, l’un d’entre eux a osé renverser mes marchandises par terre pour l’avoir refusé 100 pesos », se souvient celle qui pense terriblement à sa fille.

D’ailleurs, elle ne passe pas une minute sans mentionner Anne-Sacha, le joli prénom de sa bien-aimée, laissée en Haïti sous les yeux d’une cousine paternelle.

La frustration de la jeune dame se lit clairement sur chaque pli de son front, devenu de plus en plus suant à mesure que les minutes se filent. Toute tentative de sourire lui paraît impossible. Humeur totalement absente.

Étant en situation migratoire irrégulière, elle avoue avoir déjà été brutalisée en plusieurs occasions par des agents de l’immigration. Ces derniers devenus plus strictes dans la chasse aux Haïtiens sans documents en terre dominicaine.

Pour faire face aux assauts de cette vie indignée, cette grande consommatrice de musique urbaine, admet devenir dépendante de certaines substances psychoactives, dont notamment de l’alcool et de la cigarette.

Parfois, poursuit-elle, « Frustrée par ma condition de vie difficile, à plusieurs reprises je côtoie déjà le suicide. Mais l’avenir de mon enfant me sert encore de prétexte à rester en vie », rassure celle qui fête bientôt son 22ème anniversaire de naissance.

Dans l’un de ces grands moments de lucidité, Anna reconnaît avoir commis la plus grosse bévue de sa jeunesse, abandonnant ses études suite à la naissance de sa fille. Même si elle admet aussi que les conditions n’étaient pas non plus trop favorables.

Une confidence qui peut donner froid jusqu’aux os. Surtout quand on sait que ces cas sont récurrents en Haïti.

Mais d’autre part, cet aveu pourra servir de témoignage à une bonne partie de la jeunesse haïtienne, parfois désintéressée aux études académiques.

En effet, contrairement aux premières idées reçues, notre nouvelle amie se rend compte que les pays étrangers, encore moins la République dominicaine ne sont pas des paradis, où le lait et le miel coulent en abondance.

Expérience faite. Bonne ou/et mauvaise. Leçons apprises. Sans une économie, Anna décide désormais de retourner en Haïti. Là encore, c’est un autre défi, et pas de moindres.

Osman Jérôme


Côte des Arcadins, pour une aventure exceptionnelle

Côte des Arcadins © Osman Jérôme.
Côte des Arcadins © Osman Jérôme.

À moins d’une heure de Port-au-Prince, s’étale sur la route nationale # 1, l’une des plus belles zones côtières d’Haïti, Côte des Arcadins. Environnement paisible, mer transparente, soleil étincelant, paysage pittoresque [..], la zone offre une fresque de toute beauté.

Peu importe la saison de l’année, la région montre toujours une splendeur florissante. Une vue qui enchante par la combinaison harmonieuse de ses particularités, dont notamment les plages sablonneuses.

Les stations balnéaires alignées les unes après les autres forment une attraction touristique singulière. Les plages présentent des panoramas à faire fantasmer. Les visiteurs peuvent en témoigner avec beaucoup plus d’éloquence.

Récemment, le temps de me débarrasser du vacarme insupportable de la ville, j’ai été sur une plage très connue de la côte. Même étant un habitué, j’y reviens toujours avec les mêmes émotions de découverte.

Il était déjà presque 13h quand je suis arrivé sur les lieux. Tout juste après la rentrée principale, un agent de sécurité monte la garde. Mine plissée, lunettes noires vissées sur le nez, fusil sous la main, il assure la protection des visiteurs.

À l’intérieur, des ados jouent au foot dans le sable. Des couples s’entrelacent sous les cocotiers. D’autres se donnent plutôt au jeu du massage (érotique) sur le gazon. Tout se déroule sous le langoureux refrain de All Of Me de John Legend. Ce tube planétaire tournant en mode repeat dans un petit haut-parleur placé près du bar de la plage. Une ambiance montée de tout poil pour des gens accompagnés. Image captivante.

Tout de go, je vais m’installer au bord de la piscine. Des jeunes filles en bikini tapent un ballon de volley-ball sur la surface de l’eau. Le liquide s’agite au rythme de leurs mouvements, élégamment exécutés. Elles le font avec une telle exaltation que j’ai été vitement attiré par leurs exercices. Attention méritée.

Il va être bientôt 14h. La température monte. L’éclatant soleil qui flâne dans ce ciel limpide invite à la mer. Une mer calme et transparente, dont l’effet odieux des vagues synchronisées ne laisse personne insensible.

En duo ou en solo, en un cillement de paupières, la mer est remplie. Des créatures bien modelées, des maillots de bain séduisants, des jolis corps en exhibition, des couples soudés, des gens à la nage […], un spectacle qui plaît à l’œil. Surtout qu’ici, on vient pour voir, et pour être vu aussi.

En effet, après avoir trempé pendant quelques minutes, j’ai dû laisser l’espace au plaisir de deux amoureux qui, probablement se sentaient gênés par mon curieux regard. Voyez-vous bien ce que je veux dire ? Pas de drame. D’ailleurs ce n’est pas de loisir qui manque ici.

À quelques pas du restaurant, une bande de musiciens amateurs offre une sérénade. Ils jouent sur un air de « twoubadou ». Entourés de quelques curieux, avec une fougue juvénile, les cinq quinquagénaires passent en revue certains classiques de la musique haïtienne et du monde francophone. Nostalgie du bon vieux temps.

Chaque interprétation se termine sous des cris et des applaudissements d’un public euphorique, qui en redemande encore.

En fait, ce qui attire certains spectateurs, c’est la virtuosité avec laquelle les « musiciens » exécutent les chansons. Ils apportent une touche nouvelle aux productions originales.

Cependant, d’autres ont été plutôt charmés de la désinvolture des « artistes » à jouer avec les mots, et à déformer certains autres tant qu’ils les prononcent mal.

À chaque expression mal énoncée, l’assistance s’extase. Au point que certains ont même versé quelques gouttes de larmes, tant qu’ils ont ri de toutes leurs énergies. D’ailleurs, c’est ce côté hilarant même de la chose qui a fait rougir tout le public, grisé de bonne humeur. Satisfaction garantie.

La prestation du groupe a pris fin vers les 17h. Presque tout le monde est sorti satisfait. Certains ont replongé dans l’eau salée, d’autres cherchent à vider les lieux.

Les couleurs vibrantes du soleil s’éteignent timidement dans le firmament. Une brise rafraîchissante s’empare de la plage. Les vagues mousseuses de la mer battent encore leur rythme. Malgré la nuit qui avance, certains refusent de partir. Le cadre est attrayant.

Les yeux pleins de belles images, le corps débarrassé de toute fatigue, ainsi que s’achève un dimanche exceptionnel sur la Côte des Arcadins.

À la prochaine.

Osman Jérôme


Haïti : cette politique qui a tué nos rêves

Manifestation antigouvernementale à Port-au-Prince © Jean Marc Hervé Abélard-Le Nouvelliste
Manifestation antigouvernementale à Port-au-Prince © Jean Marc Hervé Abélard-Le Nouvelliste

L’insipide feuilleton de la politique haïtienne est loin de s’arrêter. Car après une fin d’année 2014 pleine en rebondissements, l’année 2015 commence avec les mêmes inquiétudes. En effet, comme c’était prévu, Port-au-Prince entre dans la nouvelle année sous des secousses politiques de grande magnitude. Caducité du parlement, manifestations antigouvernementales, ingérence de la communauté internationale, la sortie durable de la crise semble n’est pas pour demain.

La crise sociopolitique que traverse actuellement Haïti ne serait-elle pas le produit de l’irresponsabilité et de l’incompétence des hommes politiques ? Joseph Michel Martelly qui, à la faveur des élections entachées d’irrégularités, arrive à la tête du pays en mai 2011. Novice sur cette scène différente de la musique, comme ses prédécesseurs, l’ancien chanteur controversé est devenu héritier légitime de cette crise de vision qui manque toujours aux dirigeants haïtiens. Et depuis son arrivée au pouvoir, l’homme « tèt kale » fait face à une opposition politique de plus en plus radicale. Une situation qui n’aura  d’autres effets que de maintenir le pays dans une grogne sociale déjà insupportable.

Mégalomanie des uns, excès de pouvoir des autres, durant presque quatre ans, le Président et ses opposants ont fait de graves tords à la République. Les préjudices institutionnels causés par les bras de fer entre l’Exécutif et le parlement risquent d’induire le pays dans des voies interdites par les normes démocratiques. Ainsi, les valeurs républicaines vont continuer à être foulées aux pieds en Haïti ?

Entre-temps, vu l’incapacité des protagonistes à éviter au pays de nouvelles agitations sociales et politiques, étudiants, professionnels, simples citoyens, nombreux observateurs haïtiens de l’extérieur ont peu d’espoir quant à un redressement de la situation.  Ici en République dominicaine par exemple, certains étudiants finissants qui ont rêvé de retourner en Haïti après leurs études, commencent déjà à changer d’avis. Car selon eux, les conditions actuelles n’inspirent pas de confiance.

Dans une colère à peine supportable, Michel Constant, étudiant finissant en Sciences comptables à UTESA est très pessimiste : « J’ai l’impression que ce pays ne va nulle part, surtout avec cette classe politique de plus en plus minable. Je comptais bien retourner au pays après les études, mais aujourd’hui ça ne tente plus », a regretté le jeune de 26 ans.

Pour sa part, Docteur James Étienne se montre beaucoup plus tranchant : « Il est assez déprimant de constater que le pays se perdure dans une crise politique aussi récurrente. Ce qui contribue à tuer les rêves professionnels de toute une jeunesse, désormais livrée à la merci des débauches mondaines. Comment construire l’avenir d’une société avec des dirigeants incapables d’être à la hauteur de leurs missions ?, a-t-il conclu sur un ton exaspérant.

« Les Dominicains ne veulent plus de nous. Malgré notre statut légal, ils n’ont aucun respect pour nous. Mais que faire, où aller ? À chaque fois que je pense retourner vivre en Haïti, les choses se dégénèrent », a lamenté Rosena Jean, une marchande de produits cosmétiques à Puerto Plata.

Haïti se trouve une nouvelle fois face à un destin politique peu lucide. Un chef de l’État désormais libre à diriger par décret, Evans Paul, le premier ministre désigné doit former son cabinet ministériel, concertation pour la formation d’un nouvel organisme électoral, des manifestations annoncées un peu partout…, personne ne sait ce qui va se passer dans les prochains jours à Port-au-Prince. Mais une chose est sûre, le pays marche vers la stabilité de l’instabilité. .

Osman Jérôme


L’horreur du 12 janvier

Dégâts causés par le séisme du 12 janvier 2010 à la capitale haïtienne : ONU/Logan Abassi © Le Nouvelliste
Dégâts causés par le séisme du 12 janvier 2010 à la capitale haïtienne : ONU/Logan Abassi © Le Nouvelliste

Haïti, mardi 12 janvier 2010. Il va être bientôt 17 heures sur Port-au-Prince. Lentement, le soleil décline sur cette ville bouillante et bouillonnante.

Pas de vents, pas de pluie. Aucun souci météorologique.  La température est plutôt modérée. Et soudainement, en quelques secondes, un séisme mortel va détruire la capitale. Mettre à  genoux tout un pays, déjà en proie à ses maux.

Des cris assourdissants. Des voix étouffées dans la gorge. Vacarme épouvantable, et la ville est par terre. Le ciel devient gris, et la terre saigne de douleur.

Des maisons effondrées, des murs fissurés, des corps décapités, des morts par millier. Des plaies et des pleurs, l’horreur est à nos portes. Des sans habits, des sans-abris, l’image est sinistre, la danse est macabre.

Sous des étoiles ensanglantées, Port-au-Prince somnole debout. La terre tremble, tremble encore, la République tremble et tombe. Paysage apocalyptique.

Tout est décombre. Tout  est sombre. Séquelles physiques. Cicatrices psychologiques. Triste et lourd bilan. Un douze « tragique ».

Osman Jérôme


Récit d’une soirée d’anniversaire INOUBLIABLE

Accompagné de Michael Etienne © Samuel Marseille
Accompagné de Michael Etienne © Samuel Marseille

Les mots ne jamais innocents. Et ceci peu importe la place qu’ils occupent dans un discours, dans une déclaration. Ainsi, dans un souci de gratitude, je veux par  cette publication, remercier chacun de vous (chers lecteurs, amis et abonnés des réseaux sociaux, ayant pensé à moi hier, à l’occasion de mon anniversaire.

Vos publications, vos messages, vos cartes virtuelles témoignent de votre appréciation à mon égard. Du fond du cœur, je vous en suis très reconnaissant.

En fait, parallèlement à cette manifestation virtuelle, la fête se déroulait quelque part à Saint-Marc. Petit compte-rendu.

Ce jeudi premier janvier 2015, il est 21h. Contrairement à la nuit précédente, les rues sont peu animées. Les haut-parleurs résonnent moins. Les chauffeurs de taxi sont un peu rares. La ville donne une allure de fatigue, surtout après une soirée du 31 décembre presque sans sommeil.

En effet, c’est dans cette atmosphère de ce calme apparent, qu’une belle poignée d’amis et de familles, impeccablement vêtus, remplissent le chic espace de LE PALMIER. Ils viennent souffler avec moi cette nouvelle bougie. Ne me demandez pas combien s’il vous plaît.

Il est déjà 21h15, les douces notes d’une chanson de Wooly Saint-Louis Jean caressent allègrement les tympans des plus ponctuels, dont le fêtant à l’honneur.

Accompagné de quelques amis © Samuel Marseille
Accompagné de quelques amis © Samuel Marseille

Au fil des minutes, les tables et les sièges vides commencent à trouver propriétaires. Entre les salutations d’usage et les souhaits traditionnels du nouvel an, la soirée a débuté sur les notes d’une humeur  conviviale.

Galanterie des uns, élégance des autres, pour respecter la tradition, l’activité se déroule dans une ambiance de bon enfant.

Il est 2h du matin. Nous sommes déjà 2 janvier 2015. C’était l’heure de repartir. Même si certains n’étaient pas d’avis. D’ailleurs pour eux, c’était le seul moment regrettable de la soirée, car ils souhaitaient que cela dure beaucoup plus.

Comme c’est le cas depuis quelques années, ce sont mes confrères et amis du BUREAU DES SAGES qui ont tout organisé. Entre les cadeaux, les souhaits, les anecdotes, les blagues, ils m’ont offert une soirée digne de mémoire.

Osman Jérôme


BIC en « Recto-vèso »

Couverture de « Recto Vèso » © Page Facebook de Bic Tizon Dife
Couverture de « Recto-vèso » © Page Facebook de Bic Tizon Dife

Dans une industrie musicale haïtienne polluée par la médiocrité du plus grand nombre, il n’est pas toujours facile de distinguer l’ivraie du bon grain. Cependant, comme tout ce qui brille n’est pas l’or, la créativité finira toujours par avoir raison de la facilité.

Roosevelt Saillant dit BIC appartient à cette génération d’artistes qui misent gros sur la qualité pour séduire le public. En quatorze ans de carrière, loin de se laisser séduire par la tentation de la vaine popularité, l’artiste a pris du temps de bien remplir sa page artistique. Désormais, il nous la présente en « recto-verso ».

En effet, deux ans après le remarquable succès de l’opus « kreyòl chante, kreyòl konprann volume II », toujours avec la même verve et le même verbe, aujourd’hui l’ancien membre de FLEX nous revient avec « Recto-vèso ». Son cinquième album personnel, soit le sixième dans son intéressante discographie.

C’est un disque de douze morceaux dont quatre en français. Le produit sera soumis au grand public le 13 décembre prochain, lors d’une vente signature prévue à 18h à l’hôtel Royal Oasis à Pétion Ville, Haïti.

J’ai eu le privilège d’auditionner quelques morceaux du disque. Je vous assure déjà que c’est une délectation pour les tympans avertis. Car comme dans les précédentes productions, l’interprète de « Société moins un » a utilisé son inspiration à bon escient. Il nous soumet un plat musical à consommer avec appétit.

Pareil à un peintre qui s’exprime sur une toile, BIC joue avec les mots. Il fait une musique qui percute, qui interpelle et conscientise. L’artiste qui se dit être inspiré de la quotidienneté de la vie pour accoucher ses textes, trouve encore une manière très originale à faire passer ses revendications sociales.

Mes amis, ce qui est bon doit être partagé. C’est ce qu’on m’a appris. Ainsi, en moins de dix minutes, je vous laisse découvrir ou redécouvrir BIC Tizon Dife à travers deux chansons. La première est « Introspection », extraite de l’album « Plus loin » sorti en 2008, et la deuxième, « Genyen wi la », qu’on va retrouver sur « Recto-vèso ». Bonne écoute.

Osman Jérôme  


Journal d’un étudiant immigré

Universidad Tecnológica de Santiago, annexe de Puerto Plata © Osman Jérôme
UTESA de Puerto Plata © Osman Jérôme

Visage crispé, humeur absente, mine inquiète, Nelson Gabriel se rappelle comme si c’était hier, quand en classe terminale étant, il rêvait d’étudier dans un pays étranger. Déterminé, il ne fantasmait que sur cette idée. D’ailleurs, il n’est pas donné à tous le privilège d’étudier à l’étranger.

Octobre 2010, diplômes et certificats d’études sous les bras, la tête pleine de projets, le natif des Gonaïves part à l’aventure de son rêve. Destination République dominicaine.

Rêve de jeunesse, illusions migratoires, le voilà depuis déjà quatre longues années dans une pénible adaptation socioculturelle en territoire voisin. Comme plusieurs milliers de ses compatriotes, en laissant Haïti, l’ancien élève du lycée Fabre Geffrard croyait avoir fait le plus dur pour entamer ses études universitaires. Mais c’était pourtant loin de la réalité qui l’attendait à l’autre bout de l’Île. Car ici, être étudiant haïtien a un prix.

Jeune, fougueux, studieux, Nelson est confronté à une réalité migratoire jamais pensée avant. Stress acculturatif, discrimination. Aujourd’hui le jeune étudiant erre dans ses pensées. Il doute même d’avoir fait le bon choix d’immigrer au pays voisin.

Son premier contact avec la terre dominicaine ne lui a pas laissé de bons souvenirs. La frontière de Dajabón à peine traversée, il se rappelle avoir été traité de maldito haitiano (maudit haïtien) par un gamin dominicain, à qui il refusa l’aumône.

Et depuis, entre ses études et ses occupations quotidiennes, le jeune de 25 ans doit faire face à toutes sortes d’obstacles, dignes d’un immigré inconfortable. Encore plus un Haïtien en République dominicaine.

Nelson réside à Santiago. L’une des plus importantes provinces du pays. Bastion des étudiants haïtiens. Il habite un appartement dans un modeste quartier de la ville. Pour certains colocataires dominicains, il est un « nanti ». Un fils de la bourgeoisie haïtienne. Comment un petit haïtien peut se permettre le luxe d’affermer un appartement de 10.000 pesos par mois? Car pour le Dominicain borné, l’Haïtien, c’est l’infatigable « animal » qui fréquente les chantiers de construction, celui qui dans les rues, crie caña de azucar (canne à sucre), aguacate (avocat) à cinq pesos.

Celui qui est propre, capable de payer à temps la mensualité de ses études, menant une vie plus ou moins modeste ; il n’est plus Haïtien. Ou s’il l’est, il vient de Port-au-Prince ou de Pétion Ville. Ces villes « clichés » où habitent les riches en Haïti. Voilà la conception erronée que se font beaucoup de Dominicains de l’Haïtien. Bref, fermons cette parenthèse, revenons aux aventures de notre ami,  reconnu introverti.

Le cercle d’amis de Sony, comme ses proches qui l’appellent, est très fermé. À l’université, malgré ses obstacles linguistiques, il s’arrange à bien suivre les cours. À deux reprises, il a été reconnu comme l’un des meilleurs étudiants de sa carrière d’Ingénierie industrielle. Bravo.

Nelson parle l’anglais. Il a une formation en informatique. En dehors de ses activités académiques, il essaie de trouver un boulot. Question de répondre à certaines exigences. Car depuis quelque temps, il compte difficilement sur l’aide de ses parents résidant eux, en Haïti. Papa licencié, maman maladive, les transferts d’argent ne sont plus réguliers comme avant.

Toutes les démarches restent vaines. Car le fils cadet de Cécilia et de Mercidieu Gabriel n’a pas de carte de résidence. Cette fameuse carte digitalisée qu’on exige aux Haïtiens dans la majorité des grandes entreprises du pays. Entre-temps, le futur ingénieur doit dorénavant faire face à une précarité économique.

Durant son séjour ici, le jeune homme avoue avoir été déjà victime de plusieurs actes de discrimination et de racisme. Des pratiques très chères à certains Dominicains en vers l’Haïtien.

Récemment, se souvient-il avec cette exaspération : « J’ai été voir un médecin. Nous étions plusieurs Haïtiens à la salle d’attente. Nous apercevant, une Dominicaine de la quarantaine se plaint du « trop » d’Haïtiens dans les rues dominicaines. Une autre se plaît à ragoter aux autres une ridicule histoire sur un Haïtien, à qui elle reproche de son manque d’hygiène. L’une d’entre elles s’époumone: pourquoi quand ces Haïtiens sont malades, ne vont-ils pas en Haïti se faire soigner ?»

Un soir, poursuit-il, « En revenant de l’école, à quelques pas de mon appartement, j’ai été arbitrairement intercepté par une patrouille de police. Bien que je me sois identifié en tant qu’étudiant, j’ai été conduit à un centre de détention. Sans aucun motif valable. Pour ne pas y passer la nuit, j’ai dû payer 300 pesos». Notre interlocuteur fulmine en craquant ses doigts.

Par ailleurs, l’étudiant finissant n’a pas manqué de reprocher la passivité des représentants diplomatiques haïtiens dans certains dossiers. Surtout les nombreux déboires migratoires auxquels sont souvent confrontés les étudiants haïtiens.

Aujourd’hui, rempli d’un sentiment de frustration, à l’instar d’autres collègues, Nelson compte les jours de sa graduation pour rentrer dans son pays. Pour l’instant, il n’a que ça en tête. Même s’il sait que la suite ne sera pas facile. Mais on n’est nulle part si bien que chez soi, se rassure-t-il.

Osman Jérôme


Le Syndrome du Wi-Fi

Zone Wi-Fi © Osman Jérôme
Zone Wi-Fi © Osman Jérôme

Les nouvelles technologies racontent la gloire de l’Internet, et le Wi-Fi manifeste l’œuvre de ses bienfaits. Désormais, quand vous recevez un ami chez vous, la première faveur à l’offrir, est le mot de passe de votre connexion Wi-Fi (Si vous en avez). Sinon, il vous le demandera lui-même. L’Internet est tellement devenu indispensable dans la vie de l’homme moderne.

En fait, au rythme de la révolution technologique, le monde devient de plus dépendant de l’Internet, et de tout ce qui vient avec. Dont notamment le désormais célèbre Wi-Fi.

D’un lieu à un autre, il est devenu un produit technologique de première nécessité. Avec une avidité presque pathologique, les gens font preuve d’une gourmandise démesurée pour cette connexion sans fil. Denrée de plus en plus précieuse.

Ici à Puerto Plata, République dominicaine, rares sont les lieux publics qui ne disposent pas d’une connexion Wi-Fi gratuite. Hôpitaux, supermarchés, aéroport, gares, bibliothèques, places publiques, boites de nuit, la grâce du Wi-Fi se propage pratiquement partout. Et les gens en profitent bien.

Selon nos observations, cette boulimie est due en grande partie à la passion des réseaux sociaux. Partager une photo instantanée, faire un tweet en direct, « liker » un post, les plus branchés ne veulent rien rater de ce qui se passe sur les réseaux en ligne.

Entre-temps, le Wi-Fi devient comme une substance addictive. Évidemment, la consommation morbide n’est pas sans conséquence sur les relations interpersonnelles et la santé mentale des gens.

Personnellement, j’en ai déjà fait l’expérience en plusieurs occasions. La plus récente remonte au week-end passé. Quelques amis et moi planifions une sortie nocturne dans un restaurant de la ville. Il était question que des étudiants haïtiens se retrouvent ensemble pour commenter les dernières actualités haïtiennes.

Pendant que l’on confirme le lieu du rendez-vous, l’unique fille de la bande s’inquiète. « Nous devons choisir un espace où il y aura la connexion Wi-Fi gratuite », a-t-elle proposé, suivant d’un regard aussi sérieux qu’imposant. Comme si les autres n’attendaient que ça. D’une seule voix, nous avons tous voté pour un restaurant où l’accès gratuit à l’Internet sera garanti. Car personne ne se sent capable de se priver d’un instant de connexion d’Internet.

À ladite rencontre, loin du protocole prévu, certains ont préféré profiter du puissant signal de la connexion pour télécharger ou actualiser les applications de leurs Smartphones, toujours avides de réseaux. Ce qui a parfois créé d’inutiles chicanes entre les invités. Bon, il fallait s’y attendre quand même.

La symptomatologie du Syndrome du Wi-Fi se manifeste par un désir irrésistible d’être toujours connecté sur Internet. Ce qui entraine souvent un déséquilibre émotionnel chez les accros. Surtout en absence d’une connexion quand ils en ont besoin. Énervement. Frustration. Comble d’une inquiétude psychologique.

Osman Jérôme