Osman Jérôme

Ma première nuit avec une prostituée en République Dominicaine

Crédit photo (c) Osman
Crédit photo (c) Osman

À Puerto Plata (République dominicaine), particulièrement à Sosúa, quand le soleil se tourne le dos à la surface de la terre, laissant libre pouvoir aux ombres de la nuit. C’est toute une autre forme de vie qui s’ouvre aux amateurs des ambiances nocturnes. Les trottoirs, les casinos, les boîtes de nuit, les bars […], pour des raisons diverses, à chacun sa destination. Il suffit d’être quelque part, qui invite aux divertissements.

Voilà, un samedi soir d’été comme je les aime. Je laisse la maison à l’idée d’un nouveau flirt avec l’intimité de la vie nocturne de Sosúa, une zone réputée pour son attitude insomniaque. Ce soir, contrairement à certaines fois où je sors en compagnie de copains, c’était juste le mec qui partait jouir en solo son petit plaisir, sans une quelconque compagnie qui aurait pu être nuisible à certaines expériences.

Après une vingtaine de minutes en taxi, me voilà bien arrivé à City Light, lieu très fréquenté par des compatriotes haïtiens. Peut-être parce que le DJ de service est-il un Haïtien. Bref. Même si je suis un habitué de l’espace, c’est toujours avec les mêmes émotions d’avant que je fréquente ce bar, où les occupants sont souvent d’humeur festive. Un état d’allégresse qui laisse peu de place aux problèmes d’hier, aux inquiétudes de demain. Ici, le client est invité à oublier ses soucis, à vivre l’instant présent, même si cela demande parfois d’avoir une attitude dépensière.

Entre trois morceaux de musique et un verre à moitié vidé, il est déjà dix heures trente minutes. La nuit est jeune. Les jeux de lumière, l’exhibitionnisme de certaines filles qui tentent d’attirer la clientèle sexuelle, la synchronisation des corps en mouvement, des salutations et des accolades […], autour de moi l’ambiance gagne de plus en plus en intensité. Entre-temps, dans une courte robe moulante, mettant à l’honneur l’impeccable architecture de son corps, une jolie demoiselle, assurée comme elle seule sur ses pas bien articulés fait son apparition.

Il fallait être aveugle pour ne pas accepter de perdre volontairement quelques secondes de son temps à regarder son postérieur; une véritable mine de tentation. Elle arrive avec son corps remplit d’attirance, sa bouche pleine de séduction. Ses habits, son regard, sa beauté […], elle mobilisait autour d’elle une bonne partie de la salle, accrochée à son charme. Ne me demandez surtout pas si, moi aussi, j’ai été séduit.

Soudain, une chose exceptionnelle vient de se passer : la gazelle s’assoit juste à côté de moi. On dirait une espèce invisible a exaucé ma demande en secret. Le parfum de la jeune femme me rappelle au passage l’odeur de Fabie; ce qui était déjà une invitation à m’adresser à elle. Mais elle m’a devancé, prétextant vouloir savoir quelle heure il est. À peine arrivée, je doute fort qu’elle en ait eu réellement besoin. D’ailleurs, je remarque qu’elle a un sourire facile et une générosité douteuse. Peut-être était-ce sa manière d’entamer la conversation avec moi. Ce qui ne m’a dérangé en rien. Au contraire !

Le premier contact est établi. Chacun de son côté est sur ses gardes : pas question de tomber dans une espèce d’impolitesse anticipée. Mais, après deux ou trois plaisanteries, on s’est lâchés un peu. Ce qui a facilité le dialogue, qui sera une suite mémorable.

Amis lecteurs, permettez-moi d’identifier mon interlocutrice par Clara. Elle vient à peine de fêter ses vingt-deux ans. Elle est née d’un père dominicain, de qui elle garde peu de bons souvenirs, et d’une mère haïtienne dont elle n’a pas eu les nouvelles depuis quelques années. Les parents de Clara se sont séparés, alors que la fille allait atteindre l’âge de la puberté. Elle a été confiée à une tante, la sœur de son père, qui avait apparemment d’autres occupations bien plus importantes que la garde d’une gamine, exposée à des mauvaises fréquentations dans un quartier marginalisé. Ayant abandonné très tôt, à dix-sept ans, Clara est tombée enceinte. Elle en aura gardé d’intenses remords.

Il est bientôt minuit. L’ambiance s’intensifie. L’espace est de plus en plus chauffé. Entre-temps, je viens d’apprendre que Clara est travailleuse de sexe. Donc, contrairement à mes premières idées, elle n’est pas au club pour se relaxer en fin de semaine. Elle y est pour travailler. D’ailleurs, c’est son métier depuis tantôt trois ans. Dans l’intervalle, elle s’arrange pour faire de moi un nouveau client.

Plus l’heure avance, plus le club devient de plus en plus compact. Les hélices des ventilateurs ne peuvent presque rien contre la chaleur. Clara me tient toujours compagnie. Alors qu’une bonne partie de la salle bouge au rythme du tube planétaire « Despacito », Clara essaie plutôt d’esquisser son sourire à certains admirateurs, pendant qu’elle maintient notre conversation. Même si par moment elle paraît un peu ennuyée par la curiosité de certaines de mes questions.

Ne se montrant pas avoir ouvertement une dent contre ses sœurs se livrant au même métier que lui, la jeune maman exprime des inquiétudes quant à la rentabilité économique de ce travail auquel elle se livre, à cause de la dure réalité quotidienne. La frustration pour Clara et pour beaucoup d’autres pratiquantes, parfois, est de passer toute la nuit à charmer une clientèle de plus en plus difficile, puis rentrer à la maison sans un centime.

«D’ailleurs, n’était-ce pas pour répondre aux besoins notamment de ma fille sans papa, je ne me livrerais jamais à une telle activité humiliante », lance t-elle froidement. Et on pouvait lire sur son visage une sorte de honte d’appartenir à cette catégorie de femmes, qui tentent de gagner leur vie avec ce qu’elles possèdent de plus intime en tant que personne.

Plus de deux minutes se sont écoulées. Elle reste figée sur son siège comme une statue. Elle a voulu sortir une cigarette, peut-être à l’idée d’apaiser son angoisse. Mais, le fait que je ne fume pas, elle se cherche plutôt un soulagement dans son verre de rhum vidée d’une seule gorgée. On avance vers les deux heures du matin. Elle ne sait toujours pas si elle pourra négocier avec moi pour le reste de la nuit. C’est ainsi que quelqu’un l’a salué de la main. C’est un client de longue date. Elle s’est gentiment excusée pour rejoindre le type, n’ayant aucune ressemblance d’un Haïtien ou d’un Dominicain.

Une dizaine de minutes après, Clara est de retour, mais avec un visage beaucoup plus détendu qu’avant, car elle a pu trouver un client. Après le club, elle va passer du temps avec ce touriste qu’elle a rencontré pour une fois sur une plage. Et en parlant de clients, Clara appartient à ces travailleuses de sexe haïtiennes en République dominicaine, qui détestent avoir affaires avec des Haïtiens. Elle reproche à ces derniers d’être trop exigeants, pendant qu’ils ne payent pas assez le service.

À vingt-deux ans, Clara traîne derrière elle une carrière de travailleuse de sexe de plus de trois ans. Elle a fréquenté presque tous les bordels de la ville. Parfois, elle va même tenter sa chance dans d’autres régions du pays. Entre-temps, elle rencontre tous types de clients ; des gens de bien, des vagabonds, des touristes, des hommes mariés, des célibataires […].

Il est bientôt trois heures du matin. La fatigue se fait sentir. Si certains refusent de partir et jurent de rentrer chez eux à l’aube, d’autres profitent d’aller se reposer ou de s’offrir quelque chose de plus intime. Le temps pour Clara de me dire au revoir et de retrouver le barbu qui l’attend à la porte de sortie, l’air impatient. Et moi d’avaler ce qui restait de mon verre, avant de rentrer chez moi, surtout avec les images de la jeune femme qui traînent dans ma tête jusqu’à la publication de ce billet.

Osman Jérôme


Rutshelle Guillaume, une « Rebelle » au sommet

Crédit : compte Twitter de Rutshelle Guillaume

‌ »Plus jamais, plus jamais de peur, plus jamais, plus jamais de pleurs. Je suis épuisée, c’est assez. Je n’ai pas à baisser les yeux, je n’ai rien volé. Je n’ai pas à baisser la tête, je n’ai pas triché » […]. Madame, Monsieur, ces paroles ne sont pas de moi. Elles sont du premier couplet de « Victorious« , soit le premier morceau du nouvel album de Rutshelle Guillaume, fraîchement sorti sur les plateformes en ligne. Sans y être allée avec le dos de la cuillère, avec une rage à peine voilée, d’une voix pleine d’émotions, c’est avec ces mots que la très populaire chanteuse haïtienne a ouvert son deuxième opus, paru sous la couverture de « Rebelle ». Un titre qui ouvre déjà une belle voie à toutes sortes de polémiques, surtout dans une société haïtienne suspendue au sensationnel. D’ailleurs, si pour certains observateurs, le titre éponyme de l’opus s’apparente à une forme de provocation assumée, d’autres y voient plutôt une démarche très significative. Ces gens tiennent comme argument des incidents ayant marqué la vie sentimentale de l’artiste durant ces deux dernières années. Et à ce point, même l’intéressée lui-même n’est pas d’avis contraire.

Environ trois ans après avoir gratifié le public de son premier disque « Émotions », l’interprète de « kite’m kriye » revient dans les bacs avec du neuf. L’attente aura été longue pour des consommateurs assoiffés de nouveauté. Au final, vu la qualité du produit sorti, ils ne seront probablement pas déçus.

En effet, après environ une année de travail, des semaines de grandes mobilisations, c’est par un gros coup de communication axée notamment sur la puissance des réseaux sociaux que Rutshelle et son équipe ont finalement mis en circulation ce nouveau projet musical, salué favorablement par des critiques.

Quant à ses performances vocales, l’artiste n’avait plus rien à prouver de son talent sur cet album, tellement qu’elle s’y exerce avec une aisance incroyable. Côté créatif, contrairement au premier disque, c’est une Rutshelle Guillaume beaucoup plus diversifiée qu’on retrouve sur les onze morceaux compilés sur « Rebelle ». « En fait, le titre de l’album reflète quelque peu notre tentative. C’est une rébellion contre le statuquo et contre les idées préconçues. Les textes de Pascal Jean Wiener nous ont encouragé à faire plusieurs fusions de rythmes. Reggaeton et Hip Hop s’entremêlent aisément avec du Congo et du Banda comme s’ils étaient nés ensemble. C’est une approche où nous voulons à tout prix faire une œuvre moderne sans oublier nos racines », m’a d’ailleurs confirmé Fabrice Rouzier, producteur de l’album. En tout cas, c’est un mélange de rythmes qui plaira sans doute aux tympans du mélomane.

Dans « Le crépuscule des idoles » sorti en 1888, le sulfureux Nietzshe disait: « Tout ce qui ne tue pas rend plus fort « . Et depuis, cet aphorisme sert à allumer la flamme de l’espoir dans le cœur de certaines personnes confrontées à des obstacles de toutes sortes dans leurs vies. Au regard des scandales qui ont secoué sa vie amoureuse, Rutshelle se veut être un exemple de ce dicton. D’ailleurs elle l’a chanté sur son nouvel album. Après les tempêtes, le calme finira par revenir. L’artiste a affronté les épreuves, et aujourd’hui elle peut crier: « Plus jamais, plus personne n’a le droit de me frapper. Plus jamais, plus personne n’a le droit de m’humilier. Tout ça s’est terminé, je ne suis l’esclave de personne, ce temps est révolu. Je ne suis le bien de personne, c’est bel et bien fini « .

Ainsi, au lieu de se laisser détruire par tous ces évènements malheureux ayant marqué sa vie de jeune femme victime de violences conjugales, Rutshelle se montre plutôt déterminée à regarder vers l’avant, jusqu’à atteindre ce sommet de gloire où elle a donné rendez-vous à ses supporters, de plus en plus nombreux, notamment sur les réseaux sociaux.

L’inspiration fait des chansons. L’âge amène la raison. De simple victime, Rutshelle devient une « Rebelle » qui aime les « gentlemen« , des gars qui lui envoient des fleurs, des gars qui parlent des histoires de cœur […]. Mais qui rappelle aussi au passage dans « I’m Not For Sale » que son amour n’est pas à vendre. À bon entendeur, salut !

Osman Jérôme


Sept vérités sur les Haïtiens en République dominicaine

Des Haïtiens en République dominicaine © Osman
Des Haïtiens en République dominicaine © Osman

Malgré des rapports politiques et diplomatiques, semant parfois des doutes quant à une bonne harmonie sociale entre les deux peuples, la République dominicaine reste néanmoins une destination privilégiée pour bon nombres d’Haïtiens, en quête d’un mieux être à leur quotidien, trop longtemps livrés à la précarité d’une société, n’offrant pas assez d’opportunités à ses citoyens.

Par conséquent, en dépit de toutes les mauvaises nouvelles qui courent sur les conditions de vie des Haïtiens en République dominicaine, dont les sans-papiers notamment, le nombre d’arrivés ne diminue pas pour autant. Au contraire. Alors, du simple citoyen qui part à la recherche d’un certain équilibre économique, en passant par les étudiants soucieux d’une formation académique de qualité, jusqu’aux professionnels qui s’y établissent pour gagner leur vie, l’Haïtien de la terre voisine est identifiable par certaines étiquettes, qui sont quand même loin d’être de simples stéréotypes. Petit classement :

1-Conditions migratoires irrégulières 

Tous les moyens sont bons pour atteindre la République dominicaine ; la terre promise pour certains. En effet, en dehors du processus légal qui exige un passeport valide muni d’un visa dominicain, des milliers d’immigrants haïtiens ont emprunté la voie illégale pour traverser les frontières dominicaines. Certains ont même passé des jours dans les bois, exposés leur vie à des animaux sauvages, et à la brutalité des soldats dominicains pour atteindre leur rêve ; celui de résider en territoire voisin.

2-Une bonne force de travail 

La destination une fois atteinte, les Haïtiens qui sont venus évidemment pour travailler se débarrassent de toute complexité. Sur les chantiers des constructions, sur le volant des taxis ou des véhicules du transport en commun, dans la rue avec des brouettes, devant leurs tables dans les marchés publics, dans les salles climatisées des entreprises et des complexes touristiques, […], les Haïtiens s’adonnent presqu’à toutes les activités. Pourvu qu’ils puissent répondre à leurs besoins, et à ceux de leurs familles en Haïti qui, souvent ne dépendent de ce qu’ils font ici.

D’ailleurs, contrairement à certains fils de la terre d’accueil, parfois reprochés d’une certaine paresse remarquable, l’Haïtien est plutôt connu ici comme un rude travailleur, une espèce humaine dont la force pour le travail ne s’épuise jamais. Quand il est question de gagner quelques pesos dominicains, l’immigrant haïtien ne ménage point ses énergies. Et ceci, peu importe les conditions météorologiques, peu importe les conditions de travail ; l’essentiel pour beaucoup est de pouvoir gagner quelque chose, dont le pain quotidien notamment.

3-D’excellents étudiants 

Ici, la croyance populaire porte à croire que le système éducatif haïtien est supérieur à celui de la République dominicaine. Loin de m’extasier de cette comparaison plutôt flatteuse, je peux tout de même vous confirmer que l’étudiant haïtien a la réputation de l’excellence au niveau des universités dominicaines. Les mentions honorifiques avec lesquelles ils décrochent leurs licences et leurs diplômes peuvent donc en témoigner.

4-Ressembler aux Dominicains 

Au regard des relations sociales pas toujours harmonieuses entre les deux peuples, certains Haïtiens en République dominicaine se voient parfois obliger de se faire passer pour des Dominicains, par peur de ne pas être victimes de certains jugements racistes, dont le célèbre « Maldito haitiano ». Ainsi, tu rencontres d’une part des Haïtiennes qui se livrent à des pratiques dangereuses de dépigmentation, porter des mèches dites 100 % 100 humaines, ne vouloir plus s’exprimer en créole […], rien que pour se faire prendre pour des Dominicaines.

D’autre part, tu peux rencontrer des jeunes Haïtiens, utilisant des produits capillaires pour donner une texture beaucoup plus lisse à leurs cheveux. Ils cherchent  à se faire ressembler aux Dominicains. Une apparente crise d’identité qui affecte notamment le niveau d’estime de soi de ceux qui se donnent à ces pratiques.

5-Des mauvais locataires 

Partager le même bâtiment que certains immigrants Haïtiens peut devenir parfois un véritable enfer sur terre. L’impolitesse, l’irrespect […], tout un package de manque d’éducation,  nuisible à la bonne connivence sociale. Des colocataires haïtiens sont plutôt taxés de faiseurs de scandale, nuisant parfois à la tranquillité de tout un immeuble. Et croyez-moi, je sais de quoi je vous parle hein.

6-Jouer au football sur des terrains de base-ball 

Contrairement en Haïti où le football est censé une religion, ici en République dominicaine, le sport roi est plutôt le base-ball. Par conséquent, des terrains pour la pratique de cette discipline sportive est partout. Peu d’espaces pour le ballon rond. Ainsi, pour satisfaire leur désir de jouer au football, les Haïtiens n’hésitent point à faire usage des terrains de base-ball. À Puerto Plata par exemple, ils y organisent même des tournois et des matches amicaux entre des communautés haïtiennes éparpillées un peu partout dans la région.

7-Entretenir des relations conjugales avec des Dominicaines et Dominicains

 L’amour n’est pas raciste. D’ailleurs, il n’a point de race. En tout cas, si les dirigeants des deux pays voisins ne peuvent pas toujours s’entendre sur certaines questions politiques et diplomatiques, sur le terrain de l’amour, Haïtiens et Dominicains s’accordent à partager leurs vies amoureuses, sans se soucier parfois de ce qui se passe sur les frontières. Une Haïtienne dans les bras d’un Dominicain, une Dominicaine dans les bras d’un Haïtien […], une image qui devrait inspirer une relation cordiale entre Port-au-Prince et Saint-Domingue.

Vous vivez en République dominicaine ? Savez-vous quelque chose sur les Haïtiens en République ? Laissez-les dans un commentaire.

Osman Jérôme


Quand les murs se font art

Fresque à Puerto Plata © Osman Jérôme

Entretenue, abandonnée, la surface des murs a toujours été un espace de grande convoitise pour certains. Je ne parle pas de n’importe quel domaine de l’art. C’est ici du graffiti dont il s’agit.

À l’image de certaines autres grandes villes dominicaines, l’art urbain connaît une expansion à Puerto Plata, région du pays plutôt célèbre pour ses attractions touristiques. D’une rue à l’autre, il devient difficile de ne pas se familiariser avec ces œuvres artistiques, décorant les murs de la cité active, courtisée par des artistes confirmés ou en herbe, faisant entre autres la promotion de leurs talents.

Au point de vue psychologique, ces images qui tentent de rehausser l’éclat de certaines zones de la cité dites marginalisées, ont suscité mon admiration, nourri même mon imagination au point d’avoir l’idée d’en faire un billet. Cependant, au-delà du simple contenu visuel de la chose qui plaît aux passants, ces fresques pour la plupart véhiculent des messages socialement significatifs. Si les thématiques dessinées sont différentes, elles portent toutes avec elles une forme de communication. À continuation, je vous présente une collection de sept fresques, les unes plus expressives que les autres. Chacune sera accompagnée d’une brève description.

Fresque à Puerto Plata © Osman Jérôme

Rue Sanchez, tout juste à quelques mètres de l’Institut dermatologique, le regard de cette femme fait le bonheur des passants. Quelques secondes pour regarder ce portrait peuvent être synonymes de grande joie intérieure.


Fresque à Puerto Plata © Osman Jérôme

« Les sœurs Mirabal, Patria, Minerva et María Tereza, furent héroïnes et martyrs de la lutte contre le dictateur Rafael Trujillo, qui dirigea la République dominicaine de 1930 à 1961. On les surnommait aussi les sœurs « Mariposas » (Papillons) ».


Fresque à Puerto Plata © Osman Jérôme

Un bout de mur laissé à l’abandon sur la grande avenue du Malecón a vite retrouvé ses vives couleurs, grâce à cette fresque, apparemment dessinée lors des dernières festivités carnavalesques.


Fresque à Puerto Plata © Osman Jérôme

Depuis quelques mois déjà, Puerto Plata est en chantier. Le centre-ville est en pleine réhabilitation. Entre-temps, une fresque pour donner un peu d’éclat aux nouvelles installations infrastructurelles ne dérangera personne hein.


Fresque à Puerto Plata © Osman Jérôme

L’élevage des poules est très populaire dans la famille paysanne en République dominicaine. Ainsi, quand un artiste du pays a eu l’idée de décorer la surface de cette muraille avec une œuvre de telle envergure, il sait pertinemment la portée sociale de son travail.

Fresque à Puerto Plata © Osman Jérôme

Je garde un souvenir très particulier de cette fresque, dessinée sur un mur de l’avenue d’Isabel de Torres. D’ailleurs, c’est la plus ancienne image de la collection que je vous présente. Je l’ai captée, il y a peut-être trois ans de cela, lors d’un travail de photoreportage, alors que j’étais à l’école de communication sociale. Par ce travail marqué d’un engagement social, l’artiste a voulu apporter sa contribution à la lutte contre les abus faits aux enfants. Mais je vous assure que la situation s’est encore empirée aujourd’hui.

Fresque à Puerto Plata © Osman Jérôme

Le Dominicain, à l’instar de tout homme constitué, avoue un grand attachement à la musique. Ainsi, terminons cette petite présentation avec cette belle image, dessinée quelque part sur un trottoir de la ville, où le musicien s’offre gratuitement en spectacle pour le bonheur des passants.

Madame, Monsieur, l’art a toujours pour but d’exprimer quelque chose. À Puerto Plata, d’ailleurs comme partout dans le reste du monde, les artistes urbains s’approprient des espaces publics pour dégager leurs émotions, exprimer leurs sentiments sur des sujets qui leur tiennent à cœur. Et moi, toujours titillé par ma passion pour la photographie, je suis content d’avoir partagé avec vous cette petite collection de ce mouvement artistique, de plus en plus en vogue dans les rues de la ville.

 Osman Jérôme


Un dimanche de carnaval à Puerto Plata

Carnaval de Puerto Plata, République dominicaine (C) Osman
Carnaval de Puerto Plata, République dominicaine (C) Osman

En dépit d’une certaine inquiétude météorologique, ce dimanche 19 février 2017, la ville de Puerto Plata en République dominicaine n’a pas raté son après-midi de carnaval. Entre couleurs, danses et musiques, le grand boulevard du Malecón a été une nouvelle fois, témoin d’une ambiance populaire de toute beauté.

En effet, malgré les caprices du temps nébuleux, depuis très tôt dans la matinée, le décor était déjà planté pour accueillir les acteurs et spectateurs, se donnant rendez-vous sur le macadam, pour ce troisième dimanche, comptant pour les festivités carnavalesques qui se terminent à la fin du mois.

Enfants, jeunes et adultes, on identifie souvent le Dominicain pour son attachement aux divertissements ; c’est un adepte du festin. Donc, il n’est pas question de manquer un événement qui donne plein pouvoir au plaisir des sens. Ainsi, pour ce nouveau dimanche de grandes réjouissances populaires, tous les chemins mènent au Malecón, fameux pour être une adresse de grandes activités sociales et culturelles.

Carnaval de Puerto Plata, République dominicaine (C) Osman
Carnaval de Puerto Plata, République dominicaine (C) Osman

Il est déjà 16h30. Du grand monde est sur place. Les festivités sont démarrées depuis quelques minutes tantôt. Les stands érigés pour la circonstance sont joliment parés. Dans les décorations, on y voit la culture, la peinture, la couleur […], en fait tout ce qui fait la tradition du carnaval dominicain est là. Les étrangers sont en admiration.

Au fil des minutes, la foule devient de plus en plus compacte. Difficile alors de se frayer un chemin sur les trottoirs, occupés d’un bout à l’autre par des marchands de sucreries, de barbecues, de boissons gazeuses et alcoolisées. Le petit commerce bouge plutôt bien. Un moment de bonnes recettes pour certains petits vendeurs.

Entre-temps, sous le regard vigilant de la police nationale, les activités se déroulent en toute sécurité. Certaines personnes sont venues pour piaffer au rythme des décibels, d’autres y sont plutôt pour admirer les défilés des reines et des rois du carnaval, portant des costumes bien confectionnés.  Cette élégance vestimentaire a plu au regard des observateurs, dont des photographes notamment, enquêtes de belles images.

Carnaval de Puerto Plata, République dominicaine (C) Osman
Carnaval de Puerto Plata, République dominicaine (C) Osman

Pour cette nouvelle journée d’activités carnavalesques, au-delà de l’ambiance musicale, ayant permis au défoulement des participants, la créativité était tout d’abord au rendez-vous, gratifiant ainsi le public d’un spectacle hautement artistique, et riche en couleurs. Les masques, les costumes et les déguisements en disent mieux.

Osman Jérôme


Mémoires d’une nuit érotique

Lit d’une nuit érotique © Osman
Lit d’une nuit érotique © Osman

En vertu de la prospérité affective déjà accumulée dans notre aventure amoureuse, difficile qu’une autre occasion m’apporte autant de plaisir que chaque instant de sa compagnie. D’ailleurs, il n’existe même pas une raison d’être à ses côtés. C’est peut-être absurde, mais l’essentiel c’est de me retrouver dans la parenthèse de ses bras de tendresse, respirer le parfum de son corps, dont l’odeur discrète est une hantise à mon organisme, gâté par les bienfaits de sa présence.

Ce jeudi soir, peut-être il était déjà onze heures. Après les averses, la ville est drapée dans un silence de nécropole. Une somnolence insolite s’empare du quartier, plongé dans un black-out inhabituel. Dans l’opacité de cette nuit d’automne, nous voici une nouvelle fois cloîtrés dans cette chambre, témoin habituel des alliances de nos corps entrelacés et de nos soupirs conjugués.

Aux pieds du lit drapé en blanc, des bougies brûlent, comme si elles ne vont jamais s’éteindre. Elles dégagent un parfum, flirtant affectueusement avec mon odorat. Entre-temps, accompagné de son saxophone,  avec une mélodie aux éclats d’allégresse, Kenny G se met de la partie. Sa musique instrumentale vient amplifier une ambiance, déjà ponctuée d’une intimité souriante. Ainsi, le décor de la pièce, marquée d’une heureuse sobriété, devient comme une invitation à rentrer une nouvelle fois dans cet univers d’érotisme, dont les portes s’ouvrent déjà devant nous.

Alors, s’appuyant l’un contre l’autre, nos voix disaient des choses que nos oreilles avaient du mal à capter. Nous parlions ce soir-là un autre langage, dont seule la texture frissonnante de notre corps pouvait interpréter.

Les minutes courent, et la température de notre corps s’augmente à la vitesse du temps qui galope. Time is love. Dans un geste marqué d’une habileté propre à la femme, elle m’a rapidement débarrassé de mes accoutrements. De cette pluie de baisers sur mes lèvres, en passant par ces câlins répétés sur ma peau, elle a mis le feu sur mon corps, obéissant à tous ses mouvements synchronisés. Mon âme, mon esprit, mes sens évanouis ; et la jouissance était déjà à son comble.

Au rythme des minutes qui s’écroulent, nos pulsions sexuelles deviennent de plus en plus communicatives.  Voilà, en un cillement de paupières, nous voici plongés dans l’infinité de cette ombre voluptueuse, servant de complice à la demande de nos envies affamées. Impossible de traduire par des simples mots, ce déferlement de joie que me gratifie chaque note de sa voix plaintive. Marchandise délivrée. Demande satisfaite.

Imbibé de sueur, mon corps est pris d’un léger tremblement. Epuisés, nos organes ont dû céder à la pression de la fatigue. À l’extrémité droite du lit en désordre, nous nous regardons avec un air d’adoration. Comme pour dicter notre satisfaction partagée, après cette ballade de jouissances, nous ayant ouverts une nouvelle fois les portes du bonheur.

Osman Jérôme


La petite maison délabrée

La petite maison délabrée -Crédit photo: Osman
La petite maison délabrée -Crédit photo: Osman

Par un matin pluvieux de janvier 2017, bravant les intempéries qui menacent la ville, après une vingtaine de minutes de route, me voici à Palo Blanco, une petite localité située au Nord de Puerto Plata en République dominicaine. J’allais voir un ami fraîchement revenu d’Haïti. Ici, comme dans beaucoup d’autres localités à forte concentration d’immigrants haïtiens, les mauvaises conditions de vie des gens échappent difficilement à la sensibilité de l’observateur. Infrastructures, eau potable, électricité, […], tout cela est du luxe pour les habitants de cette zone, abandonnée sur une ancienne plantation de canne à sucre.

À l’entrée principale de Palo Blanco, à quelques pas de la gaguère, se trouve une maisonnette, faite entièrement de morceaux de tôles rouillées. De loin, elle paraît abandonnée. Pourtant elle est bien habitée par une famille, plus précisément par une mère avec ses deux filles, respectivement âgées de sept et de cinq ans. Madame Cédieu (tante de mon ami) et ses deux enfants y vivent depuis plus de trois ans. D’ailleurs, c’est le seul héritage laissé par son défunt mari, récemment tué dans un accident de la circulation.

« Désolé de te recevoir dans de telles conditions mon fils, ce n’est pas une maison habitable, mais on n’a pas d’autres choix« , a tout de go balancé la dame, apparemment un peu gênée.

Un lit misérable, une table boiteuse, deux chaises en plastique appuyées l’une contre l’autre, voilà ce qui constitue l’espace physique du domicile de la très respectueuse Betty, pour appeler la dame par son nom personnel. En haut, à droite de la table, une photographie du Père Noël, retenue par un bout d’adhésif, contribue à la décoration de la chambre mal aérée. Il ya aussi une ribambelle de sachets noirs éparpillés çà et là. On est dans une pièce où est projetée l’image hideuse d’une misère inhumaine.

Depuis le décès de Cédieu, de qui Betty garde très peu de beaux souvenirs, elle dit s’abstenir de toute liaison amoureuse, « à mon âge, je doute fort que les hommes d’aujourd’hui auront des yeux pour moi » a-t-elle tenté de justifier. Ce dont son neveu n’était pas d’accord. Entre-temps, un sourire innocent était monté à ses lèvres. Betty, dans le respect et la dignité, préfère se débrouiller seule pour répondre aux besoins de ses deux enfants. D’ailleurs, pour gagner sa vie, du haut de ses 40 piges, elle se montre vraiment créative. La dame s’adonne à diverses activités aux retombées économiques. Elle s’adapte suivant la demande, elle descend souvent en ville pour faire la lessive de certaines familles, toujours satisfaites de son travail, et, par ailleurs, Betty tient à son petit commerce détaillant, elle vend notamment des sucreries et des fruits. Elle s’en sort ainsi, contrairement à certaines de ses voisines qui préfèrent se livrer à la mendicité ou à la prostitution clandestine.

Malgré le poids des ans et les coups durs de la misère, Madame Cédieu reste une femme vive et souriante. Sa communication est souvent ponctuée de petites plaisanteries, ce qui fait d’elle une personne joviale et abordable.

En dépit de la précarité de ses conditions de vie, la mère de famille ne jure que par l’honneur et la dignité de sa personne humaine. Ainsi, contrairement à certains membres de sa communauté et avec un zeste de fierté au visage, elle affirme n’avoir jamais été tentée par le vol ou quelques autres actions malhonnêtes dans sa vie, car elle est aussi une femme d’église. Et elle en est très fière. D’ailleurs, sans se vanter, Madame Cédieu est une mère modèle pour son entourage qui reconnaît en elle une personne de grande générosité.

Osman Jérôme


Éloge de la vie nocturne

Vie nocturne à Puerto Plata © Osman

Un samedi soir de novembre, le ciel de plus en plus grisâtre laisse peu de bonnes prévisions à la vie nocturne. Mais ici, en République dominicaine, où le peuple souverain serait né avec une prédisposition génétique liée au plaisir, on n’a jamais besoin du beau temps pour répondre aux appels du divertissement. Surtout le week-end.

À bientôt 21h30, alors que le décor commence à se planter sur les trottoirs animés, à la gloire de mon corps et de mon esprit ennuyeux de l’espace physique de ma chambre, je me retrouve une nouvelle fois perdu dans les bras de la nuit à Puerto Plata ; le temps de m’offrir une partie de bonheur. Une autre occasion d’explorer le dynamisme de cette ville insomniaque.

Vêtu de ma nouvelle chemise noire, griffonnée Calvin Klein, d’un jeans bleu LTB, de baskets Lacoste de couleur noire […], je crois avoir bien acquitté ma dette au comptoir de l’élégance. Entre-temps, emportée par la brise du soir, la fragrance de mon Kenneth Cole se propage discrètement dans le voisinage. Aucun détail n’a été laissé au hasard pour ce nouveau samedi soir sur terre.

Il était presque vingt-deux heures quand je suis arrivé à The Bar, ce café qui doit sa notoriété aux traitements réservés aux clients. Certains habitués vous diront tout simplement qu’ils sont gâtés par la courtoisie des serveuses, toujours aussi affriolantes dans leur uniforme, taillé pour la séduction.

La parure festive du bar, les jeux de lumière, la jovialité du public, le décor est planté pour une partie de jouissance comme je les aime. Du Jazz à l’oreille, du spectacle pour les yeux, accompagné de mon verre de vin je trouve un complice pour mater le gris du temps qu’il fait dehors. Ainsi, entre la saveur du liquide fermenté et une partie de sérénade bien concoctée, la nuit me tend ses lèvres et m’offre toute l’intimité de son corps, dont la chaleur m’enivre  jusqu’à l’ivresse.

Plus le temps passe, plus les tables et les chaises trouvent des occupants. Un air de ravissement se lit sur le visage du propriétaire, s’assurant que chaque client soit reçu avec le plus grand soin possible. À ce point, il n’a pas trop à reprocher à ses employés, faisant un travail de qualité.

Juste à côté de moi, un jeune couple canadien parle de projets de voyage en Haïti, notamment à Port-au-Prince. Les deux amoureux espèrent aller voir de leurs propres yeux ce qui reste de la ville après le séisme de 2010. Entre-temps, même en se rappelant aux milliers de victimes de la tragédie, ils ne peuvent pas s’empêcher de trinquer leur verre en signe de leur bonheur partagé. Le mal est déjà fait.

Dans la foulée, pendant que l’odeur des mets parfume l’espace, sur la petite estrade dressée à quelques pas du comptoir, un groupe de trois musiciens joue pour la satisfaction de l’assistance, majoritairement composée d’étrangers. Après chaque morceau, les musiciens lancent des « gracias », « thank you » et « merci » au public, déjà acquis à leur cause. Chaque interprétation est suivie d’un torrent d’applaudissements. Tout le monde est en liesse. On se réjouit.

Parfaitement à mon aise, au rythme du contentement collectif qui s’empare du milieu, de plus en plus euphorique, je vide mon verre par instant, bois à ma santé et à celle de tous ceux qui pensent toujours à leurs moments de divertissement. L’homme ne vit pas seulement de travail. Se récréer est profitable à la santé mentale.

Le tic-tac des verres, les sourires complices, les regards satisfaits, les selfies pour les réseaux sociaux, les gens sont ivres de plaisir. Le plaisir se répand autour de moi, la propagation des ondes positives d’une joie contagieuse prend possession de toute la salle, déjà grisée de bonne humeur.

Il sera bientôt deux heures du matin. L’endroit commence à se vider de ses abonnés. Je fais signe à la serveuse de m’apporter l’addition. Mais son regard est plutôt une invitation à rester plus longtemps. Dans les horloges du bar, il est encore tôt. J’ai bien compris son attitude séductrice, car tout ceci sera au profit de la caisse de son patron. Mais je dois partir, retrouver mon lit, plongé dans la solitude de mon absence.

Osman Jérôme  


Le cireur de bottes et son journal

Puerto Plata-Le cireur de bottes et son journal-Crédit : Osman
Cireur de bottes (c) Osman

Il est à peine treize heures. Le soleil se balade librement dans le ciel limpide de Puerto Plata. Entre-temps, la température avoisine les 30°C. Le climat s’intensifie au fil des minutes. Les rues de la ville connaissent une allure pressante. Des enfants reviennent de l’école. Les concerts des véhicules nuisent aux abonnés du silence. Les rayons vainqueurs du soleil calcinent la peau des piétons.  Les trottoirs de l’avenue Ginebra sont occupés d’un bout à l’autre. L’image d’une cité congestionnée.

En face du commissariat principal, le décor garde son allure habituelle ; des groupuscules de gens discutant de tout et de rien, des individus fraîchement sortis de la garde à vue, des passants au regard curieux, des motocyclettes et des voitures mal stationnées, des marchands ambulants en campagne de séduction, […], l’atmosphère est déconcertante.

En effet, au milieu de cette scène, s’inclinant de plus en plus à une folie collective, un homme visiblement déconnecté de son environnement immédiat, plonge dans son journal. Il le tient avec précaution. Assis  sur son compagnon de route, casquette vissée au front, les pieds légèrement écartés, la tête plongée dans le dernier numéro de Listín Diario, l’homme prend la température sociale et politique de son pays et celle du monde entier. Un cireur de bottes qui oublie momentanément les passants pour une pause de lecture ? La scène est captivante. Elle a vite capté ma curiosité.

Entre-temps, l’intensité du bruit connaît une baisse remarquable dans les parages. Le boutiquier d’en face a fermé ses appareils de sono. Maintenant, on écoute mieux la conversation des gens. L’air un peu abattu par le soleil, un monsieur arrive pour se faire nettoyer les chaussures. Le cireur-lecteur lui demande de patienter un instant. Il n’a pas voulu perdre le fil de sa lecture. Je le suis de près. Il feuillette son journal avec soin. Preuve de quelqu’un ayant la culture des pages imprimées. Dans la foulée, il commente à un ami, lui aussi cireur de bottes, son impression des dernières actualités.

Dans ses interventions, les unes plus cohérentes que les autres, le lecteur a presque touché tous les sujets traités dans le quotidien. Même s’il reproche entre autres, le manque de contenu de certains articles, qu’il qualifie plutôt de propagandes politiques en faveur du pouvoir en place.

Dans un commentaire sur la recrudescence de la violence dans certaines régions du pays, l’homme se montre très acide contre les autorités policières qui, à son jugement jouent la passivité, pendant que les bandits continuent à faire des victimes dans les rangs de la population civile. « Les policiers d’aujourd’hui ne servent à rien. D’ailleurs, ils sont souvent complices des malfrats », a vociféré le monsieur au corps chétif.

En effet, contrairement à ce que l’on pourrait penser, la présence de ce policier en uniforme, à l’écoute de son discours ne l’a nullement intimidé. Au contraire,  cela lui a plutôt donné beaucoup plus de vigueur dans ses reproches, marqués d’une colère insoutenable.

La lecture terminée. Le cireur plie son journal, puis le dépose sur sa cuisse droite ; le temps de recevoir un autre client, dont les chaussures poussiéreuses ont frappé le regard moqueur du vieil homme.

Osman Jérôme


La fille qui ne croit plus en l’amour

Femme triste (c) pixabay.com
Femme triste (c) pixabay.com

Une, deux, trois expériences au compteur, la mémoire encombrée d’épouvantables souvenirs, l’âme encore alourdie par la haine […], à seulement vingt-six ans, Jeanne songe déjà à fermer la parenthèse de sa vie amoureuse. Pourtant avant, elle s’y accrochait avec une naïveté maladive. Aujourd’hui, entre angoisse et méfiance, le présent a eu raison de son passé, marqué de sa crédulité féminine. Cœur plein de mépris et de déceptions, la fille ne se sent plus capable de se livrer à aucun homme. Le comble de la méfiance.

En effet, profondément blessée par  les vieilles histoires, les unes plus frustrantes que les autres, ma nouvelle colocataire nourrit un immense dégoût pour les relations sentimentales. Elle voit désormais dans chaque courtisan un bourreau, un manipulateur. Un sexe opposé qui veut profiter de son joli corps de femme. Ainsi, les joues toutes noires de tristesse, elle s’imagine difficile se livrer à quelqu’un, par peur de  ne pas blesser à nouveau son cœur, déjà mutilé par le remords.

Après trente minutes de conversation, le regard de Jeanne devient un mur impénétrable, une masse de ténèbres où tout a sombré dans le brouillard nostalgique du passé. Envahie d’angoisse, elle incline la tête, gênée et honteuse d’avoir livré son cœur et son corps parfois sans avoir même réfléchi. Mes bonnes plaisanteries ne suffisaient point pour apporter un peu de sourire sur son visage, de plus en plus crispé.

Aujourd’hui, à ce carrefour fragile de sa vie de femme, l’étudiante en sciences comptables ne veut plus souffrir. D’ailleurs, son cœur en a assez. Les battements de ses lèvres nerveuses en disent long. Elle paraît avoir la tête lourde, comme trop pleine d’idées tumultueuses qui s’y choquent. Mademoiselle qui était si fière d’elle, se trouve désormais à un niveau d’estime de soi inquiétant. Elle est gravement blessée dans son orgueil de femme. Jeanne devient un sujet psychologiquement délicat.

Cependant, quoiqu’il en soit, après toutes ces expériences jugées négatives, à écouter la fille attentivement, on se rend compte, qu’elle pense encore à jouir de ce plaisir que partagent les gens qui s’aiment. Oui, je peux vous le rassurer, Jeannie, comme on l’appelle affectueusement dans l’appartement, veut  absolument goûter  à ce bonheur qu’est  l’amour partagé. Mais les cicatrices de sa vie passée heurtent encore son esprit, toujours marqué par l’indifférence de ses premiers amants à son égard.

Osman Jérôme