Dans l’effervescence d’une gare à Cité Soleil

17 mars 2015

Dans l’effervescence d’une gare à Cité Soleil

Gare de Cité Soleil, Haïti © Osman Jérôme
Gare de Cité Soleil, Haïti © Osman Jérôme

Après avoir passé deux heures coincées dans un autocar venant de Saint-Marc, nous sommes enfin arrivés à Port-au-Prince. Il est déjà midi. Le soleil est de plomb sur la capitale.

Nous sommes à la gare, à Cité Soleil. Des camions sont anarchiquement stationnés, les camionnettes défilent dans toutes les directions, les marchands qui installent leurs étals crient… je reçois l’image d’une ville bouillonnante, ici, la vie bat son plein au rythme d’un TGV.

A la descente de l’autobus, un essaim de marchands ambulants assaillent les passagers, proposant toutes sortes de produits : journaux, bouquins, stylos à bille, médicaments, sucreries et mille autres objets.

Entre-temps, des mendiants ne vous laissent pas le temps de respirer. Parfois, ils sont tellement persistants que certains d’entre nous se sentent menacés.

Le décor n’a pas trop changé depuis ma dernière visite. Façades fissurées, murs craquelés, certains endroits portent encore les traces du 12 janvier 2010. Des placards publicitaires, des slogans, des revendications politiques salissent les murs.  Nous sommes face à une vraie esthétique du désordre.

Dans un désordre légalisé, un lot d’autobus, de taxis, de motos, tout s’empile presque les uns sur les autres. Klaxons des voitures, sirènes des camions, vrombissements des moteurs, hurlements des haut-parleurs, injures entre les chauffeurs assoiffés de passagers, nous voici face à un vacarme terrifiant, semblable à une folie collective.

Telle une colonie de fourmis, courant dans tous les sens, chacun essaie de se faire un passage au milieu d’une marée humaine, devenue de plus en plus dense au fil des minutes.

Sur la route qui mène au Centre-ville de Port-au-Prince, des véhicules sont engluées dans un monstre embouteillage. Ce qui énerve des passagers, entassés comme des sardines à l’arrière de plusieurs « tap-tap », bons pour les ateliers d’assemblage.

En effet, au milieu de ce déchainement, deux policiers tentent péniblement de régler la circulation. Mais leur présence semble n’est pas une garantie pour la sécurité de la zone. Car les cambrioleurs opèrent en toute quiétude.

Sous une tente difficilement debout, une scène attire quelques curieux. Visage déformé par le soleil, un moustachu, crane aussi lisse qu’une boule de billard ne peut pas retenir ses larmes. Il vient de se faire détrousser. L’homme est dans tous ses états.

En sanglotant dans son mouchoir, le cinquantenaire gémit des imprécations contre celui qui l’a enlevé plus de 15.000 GHT. La somme de toute une récolte de maïs, économisée pour payer l’écolage de sa fille, résidant à Port-au-Prince.

Son angoisse est frappante. Les raisons sont compréhensibles. Mais hélas, on ne fait pas de cadeau à personne à Port-au-Prince. Encore moins aux paysans fraichement débarqués.

Dans un soupir aussi long que le fleuve de l’Artibonite, la victime qui est originaire de Port-de-Paix, n’a pas eu froid de proférer des menaces contre le voleur. Il  a même juré que cet argent ne fera pas du bien au cambrioleur. Entre émotion et remords, on pèse rarement le poids des mots.

Les raclements des gorges, les sifflements des crachats, les spectateurs ont peur s’exprimer à haute voix. On préfère gronder. Surtout que personne ne sait si le détrousseur n’est pas dans la foule.

Il est midi et demi. À bord d’une camionnette pleine comme un œuf, je laisse la gare à la hâte. En rentrant chez moi, je ne peux m’empêcher de vérifier à chaque instant si mon portefeuille est là. Car les voleurs sont dans la ville.

Osman Jérôme

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