Chronique des amours perdues

27 octobre 2014

Chronique des amours perdues

Crédit photo : pixabay.com
Crédit photo : pixabay.com

Malgré la vieillesse des saisons, beaucoup de souvenirs restent encore frais dans notre mémoire. Certains sont porteurs de joie, d’autres nous emportent sur les vagues mélancoliques du passé. En fait, ce qui est certain, ils sont témoins d’un temps fort de notre existence. Il s’agit, entre autres, d’un devoir de reconnaissance envers notre vie antérieure. Même si le tableau n’est pas toujours facile à regarder. Moment d’introspection, images blessantes, retour sur une nuit aux souvenirs accablants.

Telle une tortue en âge adulte, la nuit s’avance lentement. Elle s’accompagne d’un temps à la nébulosité menaçante. La ville s’expose à une forte averse. Mon cœur aussi.

Le ciel devient de plus en plus gris. Quelques étoiles sont à peine visibles. Il est 19h depuis longtemps. Les minutes semblent bloquées dans le compteur du temps. Entre-temps, le poids de mes souvenirs devient plus lourd.

Ma chambre en désordre, donne l’allure du Champ-de-Mars un mercredi des Cendres. Seule ma garde-robe se distingue des autres objets de la pièce.

Ce samedi, il est déjà 20h. Malgré les fatigues de la journée, mes paupières refusent de se plier. Entre le lit et mon corps, les notes ne s’accordent pas. La connexion tarde à se faire. La nuit est interdite au sommeil.

C’est le week-end. Entre la musique et l’alcool, dehors, les gens du quartier célèbrent la vie. Oui, ici c’est comme ça ; une vie sans le plaisir mondain ne mérite pas d’être vécue. Voilà tout ce qu’il faut pour la félicité des uns.

Sous ma fenêtre, il joue une musique. Les notes ne pénètrent pas mes sens. Pourtant c’est un morceau très familier. Âme harassée, mémoire lourde de provisions, pensées en désordre. J’ai l’esprit ailleurs.

Sur des instants de souvenirs nostalgiques, l’écran de ma mémoire est allumé. Un long métrage y est projeté. Les scènes se défilent l’une après l’autre. Certaines sont gaies, d’autres sont mélancoliques.

Figures vedettes, figurants, les acteurs me sont tous familiers. À chaque générique, la diffusion recommence. Encore et encore. Les scènes sont longues. Mais difficile de fermer les yeux sur les images. Quelle hantise ! Ça parle de mes amours perdues. Comme c’est pathétique.

Acte 1 

Dans cet inconfort émotionnel, je revis mon enfance sous les yeux vigilants de ma grand-mère. Une belle dame noire au regard étincelant. Elle avait les mains rigides et aimables à la fois. Les câlins et les raclées font parfois bonne éducation.

Elle ne savait ni lire ni écrire. Pourtant elle avait un souci obsessif pour mon instruction. Bizarrerie de la vie, c’est avec elle que j’ai vraiment appris les premières notions de calcul. Sa méthodologie empirique était simple. Le soir, elle me comptait souvent des petites histoires de la mythologie haïtienne (Tezen, Bouki ak Malis, Mèt dlo…). Parfois, elle en profitait de m’inculquer quelques idées basiques des mathématiques : « Si tu as 10 gourdes, tu en achètes deux bonbons pour 2 gourdes. Combien te reste-il ? Un lot de patates plus deux lots de patates, font trois lots de patates. Je m’en souviens encore comme si c’était hier.

Elle m’a élevé avec cette affection que beaucoup ne pouvaient pas comprendre. Car je ne suis pas l’unique petit-fils de la famille. Telles des lianes grimpantes qui s’accrochent, entre elle et moi, ce fut une grande complicité. Une belle histoire d’amour.

Malheureusement, les histoires d’amour ont aussi leur fin. Ainsi, une triste nuit de septembre, la mort m’a enlevé ce trésor humain. Et depuis, l’image de ma grand-mère paternelle ne veut plus quitter ma rétine.

Acte 2

Les heures passent. Mes raisonnements perdent la notion du temps et de l’espace. Dans un triste décor, le film se poursuit. Seul face à l’écran de ma mémoire. Immobile. Front en sueur, cœur haletant, entre remords et mélancolie, me voici dans un grand état d’introspection aussi angoissante qu’insupportable.

Ici, c’est ma mère (décédée) qui entre en scène. Je la revois avec ce même sourire inépuisable. Ce regard toujours jovial malgré les soucis de la vie.

Sensible à mes demandes, elle n’a jamais ménagé ses efforts pour  répondre à mes besoins, satisfaire mes caprices d’ainé de famille. Je n’ai pas vécu avec elle. Mais le peu de temps passé en sa compagnie, reste  des meilleurs moments de mon existence. Elle m’a offert une amitié aussi rare que précieuse. Une relation digne d’un conte de fées.

Albert Camus l’a dit dans l’Etranger : « On n’a qu’une mère ». La mienne n’est plus depuis quelques années. Mais n’empêche qu’elle habite toujours en moi. Car comme a dit l’autre, l’amour est plus fort que la mort.

Il est presque 1h. Nous sommes déjà dimanche matin. Épuisées, mes paupières se succombent. Mon corps ne peut plus. Le sommeil m’a gagné. Fin.

Osman Jérôme

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Commentaires

Angie
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C'est très touchant la chronique. Je vois toute la nostalgie que tu peux ressentir en composant le texte et le courage que tu as eu de le partager dans cette espace.
Bravo! Je te souhaite des amours quasi semblables sur ton chemin.
Merci.
Angie!

Osman Jérôme
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Merci beaucoup pour cette marque d’empathie, Angie. C’est gentil, ton commentaire. À la prochaine.