« Pour le drapeau, pour la patrie » : Mourir, est-il toujours beau ?

Article : « Pour le drapeau, pour la patrie » : Mourir, est-il toujours beau ?
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18 mai 2012

« Pour le drapeau, pour la patrie » : Mourir, est-il toujours beau ?

Drapeau haitien
Drapeau haïtien

 Dans tout pays qui se respecte, le drapeau national revêt d’une dimension  symbolique de fierté, de dignité et de souveraineté. Il en est bien aussi pour l’hymne national qui, très souvent, est un appel à la fraternité, au patriotisme, à l’héroïsme, entre autres.

En effet, 18 mai 1803-18 mai 2012, le drapeau haïtien est déjà vieux de plus de deux siècles. Deux siècles d’orgueil, d’honneur et de fierté pour certains, mais aussi deux siècles d’instabilité, d’ingouvernabilité et de luttes fratricides pour d’autres. Cependant, quoiqu’il en soit, le bicolore national, est entre autres, l’un des acquis historiques dans la longue lutte de nos ancêtres, ayant voulu nous laisser une patrie libre et indépendante.

L’origine et le sens du drapeau haïtien 

En fait, pour mieux comprendre le sens du drapeau haïtien, remontons un peu, une partie de la fulgurante épopée de l’histoire d’Haïti en tant que peuple, sans pour au tant rentrer dans les controverses historiques, relatives aux couleurs de notre drapeau, qui en a connu pas mal depuis sa création.

Avant 1803, le drapeau français, le tricolore (bleu, blanc et rouge) flotte sur Saint-Domingue, signe d’une colonisation des Européens sur les Indigènes. Condamnés sous le joug d’un système esclavagiste atroce, les colonisés rêvaient d’une liberté, d’une indépendance, d’un « vivre libre » en tant qu’Homme.

Nous sommes en 1803. Un vent de liberté souffle déjà à l’horizon de cette colonie française, la plus prospère de l’époque, le grenier de la France, scanderait l’humoriste Maurice Sixto dans « J’ai vengé la race ». Dans cette quête d’indépendance, dont nourrissent les Généraux de l’Armée indigène, ayant à sa tête à cette époque Jean-Jacques Dessalines, vont être posées certaines actions historiques, dont la création du drapeau, le 18 mai à l’Arcahaie.

En effet, selon l’histoire, Dessalines a déchiré le blanc du drapeau français, et a rapproché le bleu et le rouge pour donner naissance au drapeau haïtien. Et c’est Catherine Flon, qui a été chargée comme couturière à coller les deux bandes d’une manière verticale. Cependant, quelques années après elles seront disposées horizontalement. Toujours selon les archives historiques, ce drapeau a été adopté en 1820 et officialisé en 1843, soit 40 ans après l’indépendance.

Traditions au tour du drapeau haïtien

Haïti, 8h du matin. Les écoles, les bureaux publics ou privés, presque toutes les institutions représentatives ont coutume de hisser le bicolore national, au rythme de la dessalinienne, l’hymne national du pays :

« Pour le pays, pour les ancêtres

Marchons unis, marchons unis

Dans nos rangs point de traîtres

Du sol soyons seuls maîtres

Marchons unis, marchons unis

Pour le pays, pour les ancêtres

Marchons unis, marchons unis ».

Par contre, il faut tout de même reconnaître que, depuis quelque temps, cette valeureuse tradition et bien d’autres encore, signes d’honneur et de respect en mémoire de nos aïeux sont en pleine voie de disparition. Rares sont les quelques stations de radio et de télévision, qui observent encore la pause de la montée du drapeau dans leur grille de programmation. Les gens ne s’arrêtent, n’enlèvent presque plus leur casquettes devant les édifices au moment de la montée du bicolore.

« Il y a mieux à faire« , m’a vaguement craché Pierre Mathurin, un jeune chômeur-diplômé, spectateur de la scène sociopolitique haïtienne. Son avis est rejeté d’un revers de main par Prosper Joseph, cet enseignant de 55 ans, affirmant que, « respecter les normes et les valeurs morales de la cité, serait le tout premier pas vers une résolution durable de la crise haïtienne« .

209 après, où en sommes-nous?

Pour certains observateurs, 18 mai 1803 était une renonciation à l’occupation, officielle ou déguisée. Mais 209 ans après, pouvons-nous toujours continuer à gonfler nos poitrines pour entonner :  » Pour le pays, pour les ancêtres, du sol soyons seuls maîtres, dans nos rangs point de traîtres« , avec la présence obligée des soldats onusiens sur le territoire national, s’est indigné Peterson Sylvain, ce jeune étudiant en Anthropo-Sociologie, pour qui, « chanter la « dessalinienne« , qui est un appel au patriotisme dans de pareilles conditions, est une gifle et une honte historiques pour Dessalines, Toussaint, Christophe et les autres, qui nous ont légués cet héritage dans le feu, le fer et le sang. Pour eux, rien n’était plus beau que de donner sa vie pour sa patrie. Oui, mourir pour le pays était beau« , a-t-il tenu à faire rappeler.

Dans le regard prospectif de cet ancien camarade de la faculté d’Ethnologie de l’Université d’Etat d’Haïti (UEH), l’idée véhiculée dans l’hymne national haïtien est périmée, démodée par rapport à la réalité. « Car, par la force des choses, l’Haïtien est contraint à abandonner le pays, adopter des nationalités étrangères, au lieu d’y rester travailler à son profit, a-t-il regretté« .

Malheureusement, « l’union ne fait plus la force » ici, à moins que, cette force ou cette union est celle d’un clan pour détruire un autre. Une union, une force pour diviser, détruire le pays.

Dans cette situation de « chen manje chen« , où la scène politique se transforme en un terrain de jeu où des frères s’entre-déchirent, s’entre-tuent pour des postes ministériels, pour une place au parlement, certains se demanderaient où est passée la signification de notre drapeau, symbole de l’unité nationale et de réconciliation ? Et quand ça tourne au vinaigre, quand ça devient plus corsé, les plus forts, accompagnés de leurs familles prennent des avions pour l’Occident pendant que les plus faibles, le peuple s’embarque sur des « bwa fouye » (sorte de petits canots à voile) sur les mers, dans l’espoir d’atteindre les îles voisines. Hélas, nous avons perdu notre sentiment de l’honneur, notre goût à l’héroïsme.

Qui, aujourd’hui, donnera sa vie pour Haïti ? Mourir, est-il toujours beau pour le pays ? Dans ce contexte de » sauve qui peut« , même l’ancien président René Préval, conseillerait au peuple de « naje pou soti » (Sauve qui peut)..

Osman Jérôme

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