57 ans après : Compas Direct en mode décadence

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23 janvier 2012

57 ans après : Compas Direct en mode décadence

Nemours Jean-Baptiste,créateur du Compas Direct © https://nemoursjnbaptiste.homestead.com/
Nemours Jean-Baptiste,créateur du Compas Direct © https://nemoursjnbaptiste.homestead.com/

Avant les années 50, Port-au-Prince danse une musique. On y  fait une musique. Une musique fortement influencée par celle qui se fait en République dominicaine à l’autre bout de l’île, et celle qui se joue un peu plus éloigné à Cuba. Au début des années 50, l’idée de doter Haïti d’une identité musicale qui lui est propre se germât.

En 1955, le jeune talentueux saxofoniste, Nemours Jean-Baptiste  donne naissance au Compas Direct. « C’est de l’identité qu’est née la différence ». Nemours semblait avoir tombé probablement quelque part sur cette citation de Heinz Pagels. En si peu de temps, ce genre musical d’une simplicité rythmique, mais d’une harmonie très envoûtante allait flatter le gré des mélomanes.

Le passé du Compas est marqué par des moments de gloire comme par des époques de vaches maigres aussi. De période en période, le Compas est soumis à toutes sortes de modifications, jusqu’au point qu’on peut se demander si ce qu’on fait aujourd’hui c’est du Compa Direct ? Innovation. Évolution. Qui sait. Le temps bouge.

Les instabilités

Depuis l’année de sa création, remontant en 1955, même dans des moments considérés comme des instants de gloire, le Compas (rythme dansant le plus populaire en Haïti) ne se passe pas un temps sans connaitre des bouleversements fracassants, des agitations tumultueuses. Défections des groupes. Instabilité des musiciens. Polémiques entre groupes. Pauvreté des textes. Carence des mélodies. Industrie musicale sous-développée. Bref. De quoi n’a pas déjà souffert la bourse musicale haïtienne, le Compas en particulier.

60-70, 70-80, 80-90, 90-2000, 2000-2010. Les générations viennent et s’envont. Aujourd’hui, nous vivons les années 2010, et les mêmes démons constituent toujours les mêmes obstacles à l’épanouissement de notre Compas Direct, vieux de plus d’un demi siècle. N’a-t-on pas dit que : “Les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets”. En tout cas. Avançons.

De 1955 à aujourd’hui, des dizaines d’orchestres ont défilé sur le podium du Compas. Certains d’entre eux sont venus et ils ont marqué leur passage. D’autres n’y ont rien apporté, au point que même leurs noms sont jetés au panier de l’oubli. Leurs passages n’ont duré que l’espace d’un bon matin.

Dans la foulée, on ne peut pas énumérer les défections ou les départs des musiciens pour aller monter d’autres groupes. Comme le champignon qui pousse sur du bon comme du mauvais terrain, les formations musicales Compas naissent et disparaissent à la vitesse du vent.

Tout a débuté au début : Webert Sicot (autre nom auquel on doit la création du Compas Direct) se sépare de Nemours pour donner naissance au groupe Latino. Gypsies doit sa naissance à la division des Difficiles. Skah sha # 1 est issu des Shleu-Shleu. Isnard Douby allait créer System Band après avoir tourné le dos aux Frères Déjean. Asad abandonne Coupé Cloué en cours de route pour monter Wanganègès. Timanno ferme la porte à DP Express pour camper Gemini all Stars. Les diverses ruptures  au sein de D-zine nous enfantent Nu-Look, Hang Out, Funky konpa. De la dissolution de Konpa kreyol sortent Kreyol la et Krezi Mizik ou Nou krezi. Les départs en série enregistrés à Zenglen nous donnent Mass kompa, Harmonik, Fasil. Le départ de Jude Jean de K-dans nous propose Chil. Kenny Desmangles préfére la disparition de son propre band 509 au profit de Zenglen. Nou krezi emboite encore le pas aux départs successifs de Délices Mézafi,  Roosvelt Jean Noel, Mikaben, etc. L’incompatibilité de caractère entre Arly Larivière et Gazzman Couleur Pierre au sein de Nu Look accouche dISIP. Olivier Duret vient tout juste de tourner la page de T-vice. Et le dernier épisode sensationnel en date de ce long feuilleton interminable, est la séparation inatendue, inespérée, spectaculaire de Richie de Zenglen après plus d’une décénie de collaboration. La nouvelle parait incongrue, mais elle est bien vraie.

À l’image typique même de l’ensemble du pays, le Compas Direct est timbré du sceau remarquable de l’instabilité qui ne fait pas honneur à son âge et à sa réputation.

Cette défection du maestro cinq étoiles au sein de son groupe chéri, selon certains critiques n’est pas ou ne sera peut-être pas au profit du Compas de cette Nouvelle Génération, qui a forgé sa carte d’identité sur le fond d’une carence de qualité. La présence du batteur aux 6 sens est annoncée par-ci et par-là. Ce qui crée un véritable embouteillage sur le long boulevard du Compas Direct, déjà mal entretenu, mal décoré par les déchets de toutes sortes.

Combien de batteurs, de maestros, de producteurs qui seront mis à pied pour accueillir le « superstar maker » dans un quelconque groupe, si intéressé en question ne compte pas monter sa propre formation musicale, comme certains le prétendent ? La réponse n’est pas pour longtemps. Mais en attendant, les rumeurs circulent comme à la ”5e vitès”.

A rappeler que, du jour de son alliance jusqu’à celui de son divorce avec Zenglen, formation musicale qui l’a porté sous les feux des projecteurs, Jean-Hérard Richard aka Richie a profité de toutes les occasions pour marquer le groupe de son empreinte musicale. Sa matière grise, toujours en constante ébullition a pondu des titres qui feront pendant longtemps le bonheur des fins tympans : « 5 dwèt », « 5 continents (Géographie de la femme) », « 5 étoiles », « 5 sens + 1 (6e sens)», « 5e vitès ».

Sa virtuosité dans l’écriture musicale lui a valu des compliments élogieux. Avec son sens  du travail bien fait, durant son remarquable passage comme capitaine de l’équipe 5 étoiles, l’homme au corps tatoué a hissé le groupe à une nouvelle dimension. De l’écriture musicale bien soignée, de sa dextérité à la batterie, de sa voix sur certaines chansons bien choisies, que n’a-t-il pas fait pour permettre à Zenglen de garder son statut de groupe phare de la Nouvelle Génération du Compas Direct. Le Capois est un talent sans profondeur.

Malheureusement depuis la note officielle du groupe qui a annoncé son départ, entre Richie et Zenglen, c’est une histoire ancienne. « Qui commence bien, qui finit mal ». Peut-être. The Richie’s name is no longer Zenglen, but “Zenglen’s forever”, dixit Jean Brutus Dérissaint, membre fondateur du groupe qui, dans les moments de déboires a su toujours trouver la formule qui marche pour que Zenglen soit toujours “Anlè bato a“.

Garry Didier Perez, Gracia Delva, Réginald Cangé, Nickenson Prud’homme tous habitaient le building 5 étoiles de Zenglen et s’en vont un jour. Et malgré, le groupe a su conserver son acte de naissance. Brutus, trouvera-t-il la vigueur efficace pour répondre à ce nouveau défi ? Certains pensent qu’il n’est pas impossible, mais mission difficile, vu ce que représentait Richie au sein de l’orchestre.

Cependant, peu importe, n’en déplaise à qui conque, l’actuelle industrie du Compas Direct n’est pas encore prête à se séparer d’un groupe à l’image de Zenglen, digne représentant de la Nouvelle Génération qui, par la qualité de sa musique a su faire une différence.

« L’âge amène la raison ». On dirait que le Compas Direct, le style musical le plus populaire en Haïti en est une exception.1955-2012. 57 ans après, malgré nombreux efforts de ses adeptes, le Compas de Nemours tarde encore à s’internationaliser en bonne et due forme.

Structure. Instabilité. Moyens. Où est le problème ? En tout cas, en attendant d’apporter des éléments de réponse à cette question, il est à signaler que ces bouleversements « goudoudou » en cascade qui secouent notre industrie musicale sont loin d’être pour son avancement, à moins qu’on se trompe.

Le mieux doit être envisagé dans un meilleur délai pour éviter le pire, si non on court le risque de perdre notre identité musicale au profit des autres rythmes qui courtisent  constamment notre paysage artistique.

Osman Jérôme

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